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Un Distant miroir

01 septembre 2013
Numéros de page :
18 p. / p. 28-45
La malnutrition dans les classes populaires et l'écart de leurs pratiques à la norme physiologique résultent, selon les promoteurs de « l'alimentation rationnelle » au début du XXe siècle, d'une mauvaise gestion budgétaire. L'alimentation quotidienne s'offre alors comme activité à travers laquelle inculquer les principes qui sous-tendent le fonctionnement d'une économie de marché et qui identifient le type d'individu qu'elle requiert : le consommateur capable de faire des choix rationnels et qui possède l'esprit d'économie, connaît les règles d'épargne, prend en compte le temps, utilise les dispositifs de prévoyance. Trois raisons expliquent l'échec de la campagne : la distance sociale qui sépare les experts des milieux qu'ils souhaitent réformer, et qui se traduit en une ignorance des préoccupations de ces catégories sociales ; la méfiance qui caractérise l'attitude des classes populaires face à une science d'en-haut dont elles perçoivent les injonctions comme teintées de mépris ; et finalement des recommandations pour se libérer des comportements jugés à risque qui achoppent sur des conditions économiques antinomiques, trébuchent sur une culture rebelle et se heurtent à des goûts récalcitrants. Cependant, le « catéchisme de l'alimentation raisonnée » resurgit régulièrement en temps de crise. L'alimentation se prête particulièrement bien à fixer le blâme sur les classes sociales dont les pratiques ne correspondent pas aux normes dominantes. En rendant l'individu responsable de son sort lamentable, l'effort réformateur permet de faire l'économie d'une réflexion sur les inégalités sociales.