Morton Feldman était l'un des compositeurs les plus énigmatiques du vingtième siècle. A savoir, un être d'une intelligence extrême aux idées très arrêtées, acerbe à l'endroit des personnages historiques et ne ménageant guère ses pairs ; quelqu'un qui aimait tant parler de son travail qu'il a laissé une remarquable collection d'écrits ainsi qu'une constellation d'entretiens nous permettant de mieux comprendre sa musique. Pourtant, ses précisions étaient souvent anecdotiques, de nature philosophique ou métaphorique : de sorte que, finalement, peu de détails ayant attrait à ses méthodes de composition et ses choix esthétiques ont été révélés. Par exemple, il n'a jamais caché son rapport obsessionnel à la peinture, essentiellement consacré - mais non limité - à l'oeuvre des peintres de l'expressionnisme abstrait des années 1940, 1950 et 1960, qui étaient ses proches amis. On se rend compte qu'en dépit de ses discours sur l'adéquation entre qualités musicales et artistiques, parmi lesquelles les notions d'échelle, de surface ou d'espace, une grande partie de sa musique (en particulier les oeuvres tardives, plus longues, à l'instar de Patterns in a chromatic field) relève encore d'une mystérieuse idiosyncrasie, merveilleusement sibylline. (Electre)

Morton Feldman confiait : "Les degrés de stase présents dans un Rothko ou un Guston étaient peut-être les éléments les plus significatifs de la peinture que j'ai transposés dans ma musique. Pour moi, la stase, l'échelle et le motif ont mis en suspens toute question de symétrie et d'asymétrie." Sans surprise, comme chez John Cage, Feldman présente un motif (ou séquence) de notes et d'accords qu'il répète un certain nombre de fois, de manière imprévisible et asymétrique, avant l'arrivée d'un nouveau motif - mais sans jamais le développer, le réorganiser ou le manipuler dans un style convenu. Ainsi, des motifs successifs se croisent (ou se tissent) dans une fibre musicale continue, aboutissant à un motif individuel qui paraît statique, inchangé, immobile. Une illusion, en fait, puisque le mouvement est tour à tour mesurable par la vitesse, l'emphase (ou attaque) et la couleur (instrumentale). (Electre)

Dans Three voices, la chanteuse fait l'objet de toutes les attentions. L'extrême exigence requise par les partitions instrumentales de Feldman est tout aussi présente dans la musique qu'il lui donne à chanter. Tandis que la voix fait des tours et détours, monte et redescend et se replie sur elle-même en délicates variations et répétitions, on prend conscience à la fois de la complexité des motifs et de la rigueur physique qu'ils nécessitent. (Electre)

"De son propre aveu, Shipp cherche à atteindre une sphère rare, celle que nul mot ne saurait décrire à l'écrit ou à l'oral, consumé par la prééminence d'un son organisé, spontané, à chaud. Si le résultat fait toujours l'objet de réserves de la part de l'artiste et du public, ce concert massif et intensément contemplatif semble mettre tout le monde d'accord. Pour paraphraser le court mais pertinent commentaire de l'intéressé : "J'ai vraiment bien senti le flow que j'avais." - Derek Taylor (Electre)

"Le monde de Ran Blake s'illustre une nouvelle fois dans ces interprétations et, derechef, nous ne pouvons résister à son attrait. Nous traversons ses ombres et sa lumière, ses étendues éblouissantes, conscients des cavernes et crevasses d'où émergent les images du pianiste - ici douces, là brutales, jamais retouchées. On connaît depuis longtemps le contenu cinématique de la musique de Blake, son utilisation du montage, du fondu enchaîné dramatique. Quand il travaille sur des formats courts tels que ceux-ci, on y trouve également la clarté et l'implacable honnêteté d'un recueil de nouvelles d'un auteur comme Raymond Carver. Les allusions extramusicales sont inévitables quand la musique engage les cinq sens, et le sont d'autant plus avec la musique de Blake." Bob Blumenthal