Paul Nizan, c'est beaucoup de monde à la fois : un brillant normalien, le condisciple de Raymond Aron, l'ami le plus intime de Sartre, qui en fut comme obsédé, un grand romancier politique, un pamphlétaire aux formules saisissantes, un militant sectaire et angoissé, l'amoureux de l'étonnante Rirette, le cousin de Lévi-Strauss, le compagnon de reportage de Cartier-Bresson... Mais voici le même homme devenu, aux yeux de ses anciens camarades - Aragon, au premier rang -, un traître, voire un indicateur de police. Son crime ? Avoir rompu ouvertement avec l'Église communiste quand les chars soviétiques entrèrent en Pologne en 1939. Redécouvert par la génération de Mai 68, salué par Godard, Nizan était, paraît-il, passé de mode. Ce livre, qui n'est pas une sage étude universitaire, est une occasion de réapprendre le chemin de cette œuvre séduisante, qui fut aussi une vie tragiquement singulière - ou faut-il dire : exemplaire ?

Paul Nizan a vingt ans lorsqu'il s'embarque pour Aden, en septembre 1926. Il est alors, à l'Ecole normale supérieure de la rue d'Ulm, le plus proche ami de Jean-Paul Sartre dont il partage la « thurne ». L'ennui, le désoeuvrement, le dégoût d'un monde qui sacrifie le désir au confort, la pensée aux honneurs, l'accomplissement de soi à la notoriété, le poussent à fuir la France. Lorsqu'il rentre de voyage, en avril 1927, le brillant normalien détient un terrible secret : la cause de l'asservissement des hommes. Le désoeuvré troque alors son désespoir contre la révolte nue et déclare la guerre à la bassesse, au devoir et à la patrie. Aden Arabie, son premier livre, publié en 1931, raconte cette fuite, ce voyage et cette conversion, c'est-à-dire l'insurrection de l'esprit contre le renoncement et l'hypocrisie. « Il ne faut plus craindre de haïr, il ne faut plus rougir d'être fanatique ils ont failli me perdre. » Tel est le trésor que lègue Paul Nizan aux révoltés des générations futures.