Le musée occidental est un champ de bataille – idéologique, politique et économique. Si à peu près tout le monde veut aujourd'hui « repenser le musée », peu ont pourtant l'audace d'interroger les présupposés mêmes du musée universel, produit des Lumières et du colonialisme, d'une Europe qui se présente comme la gardienne du patrimoine de l'humanité tout entière. En arpentant l'histoire du Louvre, en discutant les impasses de la représentation de l'esclavage, en examinant des tentatives inabouties de subvertir l'institution muséale, Françoise Vergès esquisse un horizon radical : décoloniser le musée, c'est mettre en œuvre un « programme de désordre absolu », inventer d'autres manières d'appréhender le monde humain et non humain qui nourrissent la créativité collective et rendent justice et dignité aux populations qui en ont été dépossédées.

L'auteur examine la philosophie française du XXe siècle à partir des concepts d'altérité et du «dehors» de la pensée. En se référant à l'essai de Foucault La pensée du dehors (1966), elle constate des paradoxes dans ses écrits ainsi que dans ceux de Sartre, Levinas, Derrida et Deleuze/Guattari  : Lorsqu'ils revendiquent l'affirmation des «A/autres» et même un «devenir autre» de la pensée, ils ne prêtent pas attention aux «autres» culturel.le.s présent.e.s dans le pays ni à leur production littéraire et artistique. L'auteure reconstruit les demandes de renversement conceptuel philosophiques en les confrontant aux œuvres d'écrivain.e.s et d'artistes «Noirs» issus des anciennes colonies françaises. Elle critique l'eurocentrisme involontaire de cette philosophie, soulève la question de la réparation et appelle à remplacer la pensée individualisante par une pensée plus inclusive sous le concept de «dividuation».