Il va vous falloir un peu d'attention. De celle qui accompagne la dégustation d'un grand vin dont les arômes se dévoilent peu à peu. Les mots d'Alain Resnais sont comptés, pesés, mais aussi pleins d'ironie. A 90 ans, le doyen des cinéastes français est en pleine forme intellectuelle ; seule une scoliose le contraint à des déplacements difficiles. « Je ressemble à un monstre de cirque », dit-il avec cette sincérité qui le caractérise.

Un tableau de crabe sur un mur, une affichette de Scarborough, un personnage invisible nommé Zambeaux : quelques signes extérieurs auxquels se raccrocher, et nous sommes bien chez Resnais. Une déclaration avant tournage selon laquelle les personnages seraient "des méduses poursuivies par un démon en forme de crustacé, qui parvient à les retrouver dans les fentes des rochers" (mais qui est le démon ?).

Alain Resnais porte pour la première fois à l'écran un roman : L'incident de Christian Gailly, paru aux Editions de Minuit en 1996. Jusque-là pendant cinquante ans, il nous avait habitués aux scénarios originaux ou bien, à partir de Mélo en 1986, aux adaptations de pièces ou d'opérette.

Avant d'entreprendre "Pas sur la bouche" d'après une opérette de 1925, Alain Resnais aurait confié à son producteur : "Au fond de moi, j'ai envie d'être un entertainer." Le goût de notre fantaisiste pour le doux-amer et le crépuscule se combine avec l'énergie de la partition de Maurice Yvain en un étonnant équilibre qui donne le film le plus dynamique de son auteur : chaque effort accompli pour noircir le train met en relief la robustesse grisante du matériau.

Quand Alain Resnais fait chanter Sabine Azéma, Pierre Arditi, Audrey Tautou, Lambert Wilson, Isabelle Nanty, Djalil Lespert et Darry Cowl, cela donne "Pas sur la bouche", transposition à l'écran d'une opérette de 1925.