Emphatique, criarde, trop de trompettes et de tambours, jugeait Clara Schumann. "Très inférieur à Berlioz", laissait tomber Hanslick. Le premier poème symphonique, l'inspiration lamartinienne ? même pas. En 1953, un fracassant article d'Emile Haraszti, dans la "Revue de musicologie", balayait d'un revers de main ces "Préludes de Liszt qui n'ont aucun rapport avec Lamartine" : l'oeuvre ne serait qu'une Ouverture recyclée, une resucée de fonds de tiroirs. Bref, "le plus joué et le moins intéressant des poèmes symphoniques de Liszt", tranchait en juillet 1985 notre confrère de "Gramophone".

Vingt-huit ans. Dix ans chez Decca. Plusieurs Diapason d'or. Entre Brexit et pandémie, Benjamin Grosvenor, pour son nouvel opus discographique, revient à Liszt comme on étreint un proche disparu : avec un amour infini.

L'un dit piano quand l'autre dit opéra. L'un séduit, l'autre fait peur. L'un fait l'ange, l'autre le diable. Voici pourtant, plus que deux compositeurs, deux inventeurs de la musique, deux visionnaires et, par miracle, deux plumes prolixes. La correspondance du virtuose et de son (futur) gendre reste l'un de nos plus précieux trésors. Trésor que rouvre pour nous son éditeur et préfacier Georges Liébert. Esthétique, politique, théologique, psychologique... on ne vous cache rien.

Délirante, électrique, sardonique, constamment au bord de l'abîme ? Cette oeuvre méphistophélique est un monument musical, que la nouvelle génération d'interprètes s'est appropriée avec un malin plaisir ! Quelles sont les meilleures versions récentes parues ?

Au-delà de la virtuosité, le langage visionnaire et l'expression poétique de ces pièces les font figurer parmi les plus beaux fleurons de la musique pour piano. Qui sera en accord parfait avec l'âme du compositeur hongrois ?