On ignore souvent que Simone Weil a écrit une pièce de théâtre, ″Venise sauvée″, point commun, parmi d'autres, la rapprochant de Camus, qui a toujours reconnu une dette envers elle. Venise, c'est la beauté, la fragilité du monde, qui n'est jamais perdue de vue, qui reste obstinément contemplée, même si le malheur et la quête du salut ont été les thèmes mis en avant par les premières lectures de la philosophe dans la réception de son oeuvre, en partie grâce à Camus, après la Seconde Guerre mondiale.

Ecrit alors qu'elle travaillait dans les services de la France libre, l'″Enracinement″ ne traite pas seulement de la Résistance et de la reconstruction du pays. C'est une méditation paradoxale sur la politique : vouée aux rapports de force et à la lutte, la politique est dénuée de grandeur. Pourtant, sans elle, les valeurs spirituelles risquent de disparaître. Mais l'éloge de la Résistance française ne doit pas faire oublier les dommages de la colonisation et la condition des prolétaires, ce que le concept d'enracinement permet de penser d'un même mouvement.

Et si l'âme avait, au même titre que le corps, des besoins fondamentaux ? Pour Simone Weil, cela ne fait aucun doute, et leur satisfaction est une obligation. Disparue en 1943, à seulement 34 ans, elle détonne : voici une philosophe à l'oeuvre singulière, inclassable, doublée d'une militante de la cause ouvrière et d'une mystique tendue vers Dieu et l'absolu. A la fin de sa vie, elle fait de l'enracinement l'un des besoins vitaux de l'âme : il est nécessaire pour l'homme d'avoir des racines, d'inscrire et de construire son identité au sein de milieux sociaux, culturels ou professionnels.

Elève d'Alain, mais surtout disciple de Platon, elle est l'un des plus grands philosophes du XXe siècle. Elle meurt à 34 ans, dans l'exil et l'anonymat : l'essentiel de son oeuvre ne sera publié qu'après sa mort.

Morte à 34 ans, cette philosophe d'inspiration chrétienne qui épousa le syndicalisme révolutionnaire et l'idéal libertaire laisse une oeuvre immense et admirable.

Elles furent l'une et l'autre, des "enfants terribles", et, comme dit Miguel Abensour, des dissidentes, des "mavericks". Mais que serait la philosophie du XXe siècle sans celles que Laure Adler a appelées dans une récente biographie des "soeurs d'armes et d'âmes" ?

Etrangère à toute confession religieuse comme à toute sécurité et consolation sensible, la foi de Simone Weil n'a rien d'une croyance dogmatique. Son "âme grecque" se serait en effet révoltée contre une telle servitude.

Si la rencontre entre les deux auteurs, séparés par une génération, n'a jamais eu lieu, leur pensée se rejoint autour de la notion péguyste de "mystique républicaine".

Simone Weil fut une comète dans la philosophie du XXe siècle. Mystique et marxiste, elle était radicale dans ses engagements comme dans sa pensée, elle analysa la vie en usine après y avoir travaillé. Le juriste Alain Supiot nous raconte cette trajectoire singulière.