«Il y a comme une pulsion pédagogique chez Alain Robbe-Grillet, qui contraste avec l'effort accompli par beaucoup d'autres artistes, qui furent ses contemporains ou le sont aujourd'hui encore, pour dissimuler au maximum les raisons et les modes de leur activité créatrice. Chez lui au contraire, dont l'oeuvre proprement dite fonctionne le plus souvent sur le mystère, la lacune, la répétition inexpliquée des thèmes, le cache et le manque, certaine volonté de faire la lumière sur soi écrivant ou filmant peut apparaître d'abord comme une bizarrerie de plus. En fait pourtant une application aussi persévérante mise à dévoiler ses propres secrets de fabrication correspond peut-être à une double et contradictoire exigence intérieure - contradiction qui n'est pas pour surprendre de la part de l'auteur de «Construction d'un temple en ruine à la déesse Vanadé» (une des sections du superbe roman Topologie d'une cité fantôme) ou du cinéaste de L'Homme qui ment. À la base de cette sorte peu commune d ' exhibitionnisme de la méthode et des procédés, on trouverait d'un côté certain paradoxal manque d'assurance, ou plutôt une angoisse de ne pas être suffisamment apprécié et compris, tout à fait étonnante si l'on considère la carrière jalonnée de succès de l'inventeur comblé du Nouveau Roman, passé ensuite avec une aisance dont bien peu d'écrivains sont capables derrière la caméra, et finalement accueilli à l'Académie française, un choix de couronnement qu'on suppose dicté à la fois par un désir de reconnaissance un peu enfantin et par le plaisir anticipé d'une séance d'autodérision spectaculaire... Maurice Mourier - La quinzaine littéraire, 15 décembre-31 décembre 2005