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Comment les Lumières finissent

Numéros de page :
pp.81-86
Voici trois ans, lors d’une conférence sur les problèmes transatlantiques, la question de l’intelligence artificielle figurait à l’ordre du jour. J’étais sur le point de sécher cette séance – elle sortait du champ de mes préoccupations habituelles –, mais le début de l’exposé m’a retenu sur mon siège. L’orateur décrivait le fonctionnement d’un programme informatique qui allait bientôt défier les champions internationaux au jeu de go. J’étais stupéfait de voir qu’un ordinateur puisse maîtriser le go, jeu plus complexe encore que les échecs. Chaque joueur déploie 180 ou 181 pièces (suivant la couleur qu’il ou elle choisit), placées tour à tour sur un plateau initialement vide; la victoire revient au joueur qui, prenant les meilleures décisions stratégiques, immobilise son adversaire par un contrôle plus efficace du territoire. Cette capacité, insistait l’intervenant, ne pouvait être préprogrammée: sa machine apprenait à maîtriser le go en s’exerçant, par la pratique. Compte tenu des règles de base du go, l’ordinateur joua d’innombrables parties contre lui-même, tirant les leçons de ses erreurs et affinant ses algorithmes en conséquence. Ce faisant, il finit par dépasser les talents de ses mentors humains. De fait, dans les mois suivant l’exposé, un programme d’IA, AlphaGo, devait battre sans appel les plus grands joueurs de go du monde. Comme j’écoutais l’orateur célébrer ce progrès technique, mon expérience d’historien et, à l’occasion, d’homme d’Etat praticien me fit réfléchir. Quel serait l’impact sur l’histoire des machines d’auto-apprentissage – des machines qui acquièrent des connaissances par des processus qui leur sont propres, puis les appliquent à des fins pour lesquelles il pourrait bien n’exister aucune catégorie de compréhension humaine ?