Le Western crépusculaire - et après
Bulletin : Positif 698 - avril 2019
Numéros de page :
pp.92-100, 102-110, 112-115
"This is the West. When the legend becomes fact, print the legend". John Ford, à l'avant-dernière séquence de l'un de ses plus beaux westerns, fait entrer le genre dans une nouvelle ère. Si tout n'était que légende, c'est donc qu'on nous avait menti, que lui-même nous avait menti. Que l'héroïsme présumé n'était parfois que chance, hasard ou veulerie, qu'un duel pouvait cacher un meurtre, que l'Histoire allait bientôt souffler dans un sens nouveau. Il n'y a pas de hasard : l'année même de L'Homme qui tua Liberty Va/ance, sortent les premiers westerns qui se verront qualifier de "crépusculaires", à commencer par la deuxième incursion dans le genre d'un nouveau venu qui allait, avec quelques autres, l'infléchir durablement, "Coups de feu dans la Sierra". Sam Peckinpah y prolongeait les études sur le vieillissement qu'on avait senti poindre chez les classiques, de Ford à Hawks et de Mann à Hathaway, et entamait une réflexion mélancolique sur la disparition de l'Ouest que partageraient bientôt les artisans du Nouvel Hollywood : Altman, Pollack et bien sûr Cimino, qui avec l'échec de "La Porte du paradis" sembla un temps sonner le glas du western. Ce genre qu'on a si souvent dit moribond a pourtant su se renouveler : les minorités autrefois opprimées y ont pris une place singulière ; ses codes, ses formes, ses lieux ont essaimé dans d'autres genres, chez les cinéastes où on les attendait le moins (Lynch, Stone ou Zemeckis), et à la télévision ; certains auteurs se sont parés de cette teinte crépusculaire comme d'une nouvelle aura, au premier rang desquels Clint Eastwood, lui qui était venu au western par le petit écran et par un maître italien auquel Quentin Tarantino, dans ses deux derniers films, rend à son tour hommage. Ces ramifications inattendues confirment qu'après un crépuscule qui était loin d'être le dernier, le jour luira encore. "Tomorrow is another day".