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Créer des cellules artificielles

Bulletin : La Recherche 558
Numéros de page :
pp.32-47
L es cellules qui composent le monde vivant sont le produit de milliards d’années d’évolution. Leur machinerie moléculaire est un réseau complexe, optimisé pour l’ensemble particulier des conditions auxquelles leur organisme est confronté. Cette complexité rend difficile l’étude des mécanismes moléculaires sous-jacents. Pour franchir l’obstacle, des biologistes, des physiciens et des chimistes tentent de reconstruire, en laboratoire, des cellules simplifiées à partir de composants moléculaires essentiels. Ce pan de la biologie synthétique suscite beaucoup d’engouement. « L’émulation n’a jamais été aussi forte dans ce domaine ! » se réjouit le chimiste Hagan Bayley, de l’université d’Oxford, dans une revue récente de la littérature scientifique. Petra Schwille, biophysicienne à l’Institut Max-Planck, témoigne également de ce dynamisme. Avec d’autres chercheurs, elle promeut depuis 2015 un programme de recherche européen. L’initiative rassemble aujourd’hui une trentaine de groupes de recherche qui publient des résultats intéressants. Ainsi, un jeune biophysicien français, Christophe Danelon, installé à Delft, aux Pays-Bas, est parvenu à produire des vésicules aux aptitudes prometteuses : elles synthétisent les lipides nécessaires à la régénération de leur membrane, les protéines répliquant l’ADN et celles divisant le compartiment cellulaire. Pour y parvenir, son équipe emprunte des mécanismes chez les bactéries et les virus. En reconstruisant des cellules vivantes à partir de zéro, nous pouvons en apprendre beaucoup, non seulement sur les composants et leurs interactions, mais aussi sur la façon dont les cellules évoluent et comment nous pouvons mieux les utiliser à des fins technologiques. De son côté, le bio-ingénieur Jérôme Bonnet, à Montpellier, conçoit des programmes génétiques pour transformer des bactéries en alliées thérapeutiques. Il utilise leurs capacités naturelles à vivre dans les milieux pauvres en oxygène pour qu’elles luttent au coeur des tumeurs. Les scientifiques progressent également du côté de la génétique : ils réduisent et recomposent des génomes existants, comme ceux de la bactérie "Escherichia coli" et de la levure "Saccharomyces cerevisiae". Ces travaux visent non seulement à identifier des gènes essentiels à une forme de vie minimale, mais également à réécrire des programmes génétiques. Les biochimistes s’amusent aussi à bousculer l’alphabet génétique. En plus des bases nucléiques bien connues, l’adénine, la cytosine, la thymine et la guanine (A, C, T, G), certains en inventent de nouvelles, construisant, comme l’Américain Steven Brenner, un ADN à huit lettres. Si le projet de cellule artificielle ne doit pas être confondu avec la chimie prébiotique, qui cherche à remonter aux premiers moments de la vie cellulaire, il incite à s’interroger sur les principes de conception du vivant. D’ailleurs, même en simplifiant les mécanismes, les chercheurs se heurtent encore à son étonnante diversité. Sommaire. "Avec la biologie de synthèse, on saisira mieux la complexité de la cellule", entretien avec Petra Schwille. Le prototype qui duplique son propre génome. Des bactéries programmées pour détruire les tumeurs. Une fenêtre sur le vivant.