Les Russes sont-ils adeptes de valeurs illibérales et autoritaires ?
Bulletin : Futuribles 446
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Numéros de page :
pp.37-52
Dans le numéro 443 de "Futuribles", l’été dernier, nous avons fait écho aux enseignements tirés de la dernière vague d’enquête de l’European Values Study (EVS), conduite en 2017-2018. Pierre Bréchon y soulignait les différences de valeurs observées en Europe suivant les zones géographiques (ouest / sud / est ; membre ou non de l’Union européenne ; pays nordiques), toujours très marquées. Dans cet article écrit avec Myriam Désert, il se penche cette fois sur les particularités de la société russe, en analysant les résultats des EVS menées en Russie depuis 1999, et en comparant ces résultats à ceux observés en Europe en 2017. La réputation attribuée aux Russes d’avoir des valeurs plutôt illibérales et autoritaires, que leur soutien à Vladimir Poutine, depuis plus de 20 ans, tend à accréditer, est-elle fondée ? Après avoir rappelé comment la notion de démocratie est abordée et enquêtée dans les EVS, les auteurs examinent les aspirations des Russes en termes de système démocratique à privilégier, rappelant au passage le poids de leur histoire dans le choix de certaines réponses. Ils soulignent ensuite les vifs sentiments nationalistes et xénophobes qui les caractérisent. Mais en entrant dans le détail des objectifs que les Russes jugent importants pour le pays, l’article montre bien que les opinions prodémocratiques tendent à progresser ; et les Russes, quoique peu politisés et peu protestataires, aspirent à être entendus par leurs dirigeants. Enfin, les auteurs s’intéressent à l’évolution du lien social en Russie, soulignant la corrélation qui existe habituellement entre la force de ce lien et les aspirations démocratiques : ils montrent ainsi que le délitement du lien social au cours des dernières décennies a joué un rôle important dans la prédominance de valeurs nationalistes et autoritaires, mais que les ressorts sur lesquels le pouvoir s’est appuyé jusqu’ici pour renforcer ces valeurs cèdent un peu de terrain, en raison de la dégradation de la situation sociale et économique du pays. Le tropisme autoritaire domine encore largement et les évolutions sont très lentes, mais elles semblent engagées.