Vers l'Etat post-colonial
Auteurs
Numéros de page :
26 p. / p. 147-172
Dix ans après sa mise en place en 1946, la départementalisation, processus par lequel les quatre « vieilles colonies » sont transformées en départements français d'outre-mer (DOM), est critiquée par les élites sociales et politiques « domiennes ». En Guyane, les enseignants créoles s'appuient particulièrement sur la survivance d'inégalités salariales en leur défaveur pour dénoncer la réalité décolonisatrice de la départementalisation et affirmer la continuité d'une logique coloniale dans les rapports socioprofessionnels entre les enseignants en Guyane. La mobilisation des enseignants créoles qui s'ensuit dans les années 1950, afin d'obtenir une égalité des traitements avec les enseignants qui proviennent de la « métropole », met alors en relief un double clivage : d'une part, un clivage social entre Créoles et Métropolitains, d'autre part un clivage politique entre autonomistes et départementalistes. Pourtant, cette mobilisation permet en retour aux enseignants créoles guyanais de bénéficier d'un régime que l'on pourrait qualifier de proche des politiques de discrimination positive. Elle favorise également leur entrée sur la scène politique locale dont, à partir des années 1960, ils deviennent les acteurs majeurs. La départementalisation est donc un accélérateur du renouvellement des élites sociales et politiques guyanaises. En somme, en Guyane, au cours de la transition du statut colonial au statut départemental, continuité coloniale et discontinuité post-coloniale sont les deux faces d'un processus de recomposition sociale et politique, au cours duquel les enseignants créoles guyanais deviennent une élite dirigeante de leur département.