Le Travail forcé en URSS
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42 p. / p. 7-48
Dans les années 1940-1945, les contraintes pesant sur les travailleurs soviétiques, y compris libres, se sont accrues. Deux nouvelles catégories de travailleurs forcés sont apparues : les ℗ soldats du travail ® et les prisonniers de guerre. Elles se sont ajoutées aux deux catégories existant dans les années 1930 : les détenus des camps de concentration et les ℗ colons spéciaux ®. Cet article vise à décrire, avec autant de finesse et d'exhaustivité que le permettent les documents, la situation des travailleurs, libres et non libres : il cherche à saisir, par delà la diversité de leurs statuts juridiques, leur condition économique et sociale. Il s'agit de réfléchir sur les causes de la faiblesse de la protestation sociale dans le monde du travail soviétique, qui ne peut être expliqué uniquement par la répression, si vigoureuse fût-elle. Cette faiblesse résulte aussi des lignes de fracture qui parcouraient cet univers, et en particulier de la coexistence du travail libre et du travail forcé. La segmentation de cette population entravait toute unité d'action : des formes de protestation existaient, mais elles restaient cloisonnées. Définir le travail libre pose des problèmes complexes dans la société soviétique où les paysans définissaient leur travail au kolkhoze comme un ℗ second servage ®. Des travaux récents portant sur d'autres sociétés ont montré que la limite entre travail libre et travail forcé n'allait pas de soi et variait selon les époques. En URSS, pendant la guerre, les violations de la discipline du travail par les salariés libres étaient passibles de sanctions pénales, mais ce fait n'efface pas les différences avec les diverses formes de travail forcé, où intervenait la police politique. Ces diverses formes n'étaient pas séparées par des frontières bien nettes, mais par des nuances, des transitions presque insensibles.