Technosciences, pouvoirs et résistances
Auteurs
Numéros de page :
20 p. / p. 76-96
Dans létude des innovations techniques controversées, la question des pouvoirs a depuis deux décennies été reléguée au second plan au profit dapproches normatives visant à faire advenir une démocratisation des formes dexpertise et de gouvernance, en promouvant lidée quun tel processus de transformation "positive" des rapports entre sciences et société était déjà entamé. Cette contribution vise à revisiter cette hypothèse en partant du constat que les formes dexercice des pouvoirs dans les domaines technoscientifiques mettent en évidence des dynamiques trop complexes pour quon puisse admettre leur conformité au discours de la "bonne gouvernance" ou de la "démocratie technique". Une approche par la gouvernementalité offre dans ce cadre des pistes danalyse fécondes, présentées dans la première partie. Létude se focalise ensuite sur un secteur technoscientifique (celui de lénergie nucléaire) faisant lobjet de controverses quasi-permanentes. On y voit un travail dynamique et permanent de renouvellement des discours, des pratiques et des stratégies, mené par les pouvoirs contestés, y compris en faisant bon usage des critiques qui leur sont adressées, dans un domaine centralisé, hautement stratégique et encore largement technocratique, ce qui pointe le caractère inadéquat, voire réducteur, dune réflexion menée uniquement en termes de progrès de la "technocratie" (ou nucléocratie) vers une "démocratie technique". Lapproche par la gouvernementalité permet au contraire de complexifier le regard en saisissant la genèse et la mise en forme dune panoplie dinstruments de gouvernement du social, ou de lespace public, dont il importe de mettre à lépreuve la pertinence, lactualité ou au contraire le caractère non opérationnel dans létude dautres grands domaines de technologies contestées.