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Des Révolutionnaires invisibles

Numéros de page :
28 p. / p. 164-191
Les historiens ont étudié dans un certain détail la Fédération de France du Front de libération nationale (FLN), implantée dans l'univers majoritairement masculin des travailleurs immigrés, mais on ne sait presque rien du rôle des femmes algériennes, qui arrivèrent en nombre croissant au cours de la Guerre d'indépendance. Cet article s'appuie sur des archives internes jusqu'ici inconnues de la Section des femmes du FLN et sur des entretiens avec des acteurs clés de la période, pour enquêter sur les origines et l'organisation du réseau clandestin, qui s'étendait aux principaux centres urbains et industriels de la France métropolitaine. La Section milita pour la reconnaissance de l'égalité des femmes au sein du FLN, leur droit à l'alphabétisation, à l'emploi et à la participation politique, comme faisant partie intégrante de la création d'un ordre juste qui permettrait, une fois l'indépendance obtenue, de mobiliser tout le potentiel de la moitié négligée de la population. Cependant, ce programme révéla des différences générationnelles entre les jeunes militantes éduquées en France et les femmes mariées plus âgées, quant à la nature de l'émancipation ; il suscita également une opposition masculine, car il heurtait les normes socioculturelles profondément ancrées, relatives à la ségrégation des femmes et aux codes d'honneur. Ces tensions au sein de la Fédération de France du FLN, la section ouvrière politiquement la plus avancée du mouvement indépendantiste, révélaient déjà les contradictions d'un programme d'émancipation qui allaient mener à une marginalisation rapide, de nature conservatrice, des femmes dans le nouvel Etat indépendant.