Conduites d'eau pour les tribus
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28 p. / p. 93-120
Cet article examine les conséquences locales de l'extension en 1946 de la citoyenneté française aux Kanak, anciens « sujets indigènes » de la Nouvelle-Calédonie, sous l'angle des politiques municipales sur l'eau. A partir d'une enquête ethnographique et micro-historique réalisée dans la commune rurale de Koné (nord-ouest), je me propose d'analyser les significations politiques et sociales que revêtait l'enjeu de l'eau dans un contexte de discriminations coloniales déployées sur la longue durée, puis d'examiner comment cet enjeu a été politiquement saisi, problématisé et traité à partir de 1946. Il s'agit plus précisément d'étudier trois phénomènes relatifs à la question de l'eau en Nouvelle-Calédonie et à Koné : d'abord son insertion dans les dispositifs inégalitaires de la colonisation ; puis son inscription à l'agenda politique de l'après-guerre, à l'initiative notamment des Missions chrétiennes ; enfin son instrumentalisation dans le cadre des rapports de pouvoir locaux. Elaborées sous surveillance missionnaire, les revendications kanak sur l'eau émises dans les années 1940 et 1950 ont en effet conduit la mairie de Koné à intervenir dans un espace politique jusqu'alors strictement contrôlé par les « chefferies indigènes ». Dans les villages kanak, la construction des conduites d'eau n'a donc pas seulement marqué une amélioration pratique des conditions de vie : en accompagnant et en symbolisant l'émergence de la figure de l'élu municipal mélanésien, elle a également profondément transformé les relations de pouvoir à l'intérieur du monde kanak.