Ce qui se passe quand on a l’impression qu’il ne se passe rien : les élections des syndics de la République de Genève à la fin du XVIIe siècle
Bulletin : Revue historique 684 - octobre 2017
01 octobre 2017
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pp.803-818
Contrairement à de nombreuses cités-Etats dans l’Europe du XVIIe siècle, la République de Genève a conservé son assemblée populaire héritée de la commune médiévale, le Conseil général. Mais les élections auxquelles procède cette assemblée deux fois l’an ont souvent été considérées par les historiens genevois comme de simples formalités. Elles serviraient avant tout à entériner l’ordre naturel des choses, plutôt qu’à agréger les préférences personnelles de chacun des citoyens ; à valider la hiérarchie à l’œuvre dans une société genevoise qui est vécue comme une «communauté» plutôt qu’une société d’individus. Cette impression est confirmée par la forte déférence dont font preuve les citoyens dans ces élections, les principes de reconduction des sortants et de respect du rang pesant très fortement dans le comportement électoral. Néanmoins, il se passe encore quelque chose alors qu’en apparence il ne se passe rien. Dans un régime hybride où le Conseil général reste le souverain de jure de la République, le cérémonial électoral entretient la fiction de la souveraineté populaire. Des grains de sable se glissent aussi parfois dans ces rouages trop bien huilés. Il arrive que des outsiders conquièrent un poste laissé vacant dans la rotation des syndics par un décès ou une décharge d’un des sortants – même si nous verrons que ces conquêtes sont le plus souvent l’effet secondaire d’un manque d’intérêt pour la charge affiché par un prétendant nominé dans une position plus favorable. Si nous savons rétrospectivement que les syndics sortants ont toujours été reconduits jusqu’en 1728, la chose n’était pas pour autant évidente pour les citoyens, qui à plusieurs reprises ont menacé de «faire sauter les vieux», la ville s’agitant alors de rumeurs et de discussions houleuses.