Bounine et la révolution
Bulletin : Revue des deux mondes 7
01 juillet 2018
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Numéros de page :
pp.157-159
Ivan Bounine, Prix Nobel de littérature en 1933, est un écrivain célèbre mais que les amateurs ont tendance à humer comme une fleur tardive, un peu vénéneuse. Cela tient peut-être à sa position inconfortable dans l'histoire de la littérature russe : cet héritier de Tolstoï et de Tchekhov, publie son premier roman à 40 ans en 1910, au moment où les romans d'Andreï Bielyï annoncent les bouleversements esthétiques à venir. Pourtant, à l'époque comme aujourd'hui, sa puissance et son originalité sont évidentes : elles consistent en une lucidité, une cruauté sans cesse entremêlées à une faim brûlante, sensuelle, jamais rassasiée, de la beauté du monde. A la veille de la révolution, il occupait dans le monde artistique russe la position paradoxale d'un classique embarrassant à la fois Anciens et Modernes par son excès : excès de dureté, de pessimisme dans sa vision des êtres, notamment du paysan russe si souvent idéalisé dans la mentalité de l'époque, excès de couleur, de sensualité et de sexualité. Une des caractéristiques de jours maudits, le journal qu'il a tenu de 1918 à 1919, est d'ailleurs que Bounine voit dans les évènements historiques la preuve que sa vision des choses n'avait rien d'excessif.