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André Bazin et la politique des auteurs

01 octobre 2018
Numéros de page :
pp.802-813
La «politique des auteurs» est sans doute la plus fameuse théorie critique jamais inventée dans une revue de cinéma. François Truffaut forge le concept à travers une demi-douzaine de textes publiés dans les Cahiers du cinéma et l’hebdomadaire Arts en 1954 et 1955. Il implique l’amour systématique des films d’un cinéaste élu, où le critique voit immanquablement se déployer la personnalité créatrice dans une mise en scène singulière, personnelle, originale. La politique des auteurs est d’abord une stratégie d’intervention : elle suppose une intimité avec des créateurs, dont le critique comprend l’œuvre, qu’il va analyser et défendre à travers tous ses films, que d’autres peuvent tout à fait considérer comme, tour à tour, mineurs ou majeurs. Ainsi Truffaut illustre-t-il cette «politique» en défendant Jacques Becker, de "Casque d’or", unanimement apprécié, à "Ali Baba et les quarante voleurs", tout aussi unanimement décrié. Le «génie» d’un cinéaste le rend infaillible : son œuvre n’est pas inégale, elle appartient à une même identité créatrice. A propos d’Abel Gance, que François Truffaut admire, alors qu’il est généralement considéré comme dépassé par l’histoire depuis le passage au parlant, et d’un film méprisé par la critique – "La Tour de Nesle" en 1954 –, le jeune-turc peut ainsi écrire : «Puisqu’Abel Gance est un génie, La Tour de Nesle est un film génial. Abel Gance ne possède pas de génie, il est possédé par le génie. Si vous ne comprenez pas pourquoi Gance est génial, c’est que nous n’avons pas, vous et moi, la même conception du cinéma, la mienne étant, bien entendu, la bonne." Ce qu’il fallait démontrer, avec la touche de mauvaise foi mais le talent de plume nécessaire à emporter l’adhésion (d’une partie) des lecteurs.