Michel Crozier et le CSO, un entrepreneur sociologique de la réforme de l'Etat, début des années 1950-fin des années 1970
Bulletin : Revue historique 663 - juillet 2012
01 juillet 2012
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Numéros de page :
23 p. / p. 659-681
L'histoire des sciences sociales après 1945 en Europe, et tout particulièrement de la sociologie, fut en partie une tentative de concilier recherche scientifique et activité de conseil ou de proposition auprès des pouvoirs politiques et administratifs. Michel Crozier, aidé par le groupe de chercheurs qu'il rassembla autour de lui au CSO, exerça, entre le début des années 1960 et le début des années 1980, une très forte influence intellectuelle et médiatique au sein de l'univers des petits milieux ″modernisateurs″, préconisant des réformes politiques importantes dans le monde français. L'argumentaire scientifique élaboré collectivement par Crozier et ses collaborateurs sur le fonctionnement de diverses administrations françaises et sur les rapports entre pouvoir politico-administratif central et pouvoirs locaux fut en effet l'une des plus grandes réussites de la science politique et sociologique hexagonale de l'après-guerre. Mais, dans la volonté de passer du constat scientifique à l'application politique, l'expert que voulut être Michel Crozier connut des déconvenues. ll échoua quand il voulut se transformer en conseiller du prince auprès de Jacques Chaban-Delmas ou d'un Valéry Giscard d'Estaing. En revanche, dans un rôle plus modeste et plus patient, d'expert porteur de propositions et d'idées, son rôle est indéniable dans le succès de l'idée de décentralisation au début des années quatre-vingt. La figure de Michel Crozier paraît ainsi décisive pour comprendre le passage, à partir du milieu des années 1960, du grand théoricien sociologue (Durkheim) à celle du chercheur qui mêle recherche fondamentale et interventions auprès des acteurs économiques et administratifs. L'étude n'en montre pas moins le décalage entre d'un côté le savoir et l'immense compétence de chercheur et les logiques politiques profondes qui lui échappent en grande partie et qui le laissèrent frustré et mélancolique, à l'image d'ailleur