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Biographies, modes d'emploi

01 juin 2012
Numéros de page :
/ p. 483-623
A la grande époque de la théorie littéraire, on méprisait l'écriture de la vie. Celle-ci s'est bien vengée, et on peut avoir l'impression qu'il n'y en a plus que pour elle, non seulement en littérature, mais aussi en histoire, en philosophie et dans les sciences exactes : de Gide à Derrida, en passant par Pierre Nora, qui n'a eu droit, ces dernières années, à sa, voire ses biographies ? Le public demande des vies : les grandes collections de biographies se portent bien. Les romanciers, eux aussi, racontent des vies, la leur ou celle des autres : écrivains, musiciens, sportifs. Les intellectuels les moins suspects de complaisance envers l'intime se laissent interviewer ou glissent des souvenirs dans leurs essais. Eternel retour du même ? Pas du tout. Car on ne narre plus les existences comme avant. On croit moins à leur cohérence, à leur unité. On conçoit mieux leurs zigzags et on tente de les suivre. Mais c'est plus profondément que le genre, si c'en est encore un, a changé. A côté des biographies d'hommes ou de femmes célèbres, on a vu apparaître celles d'humbles et de sans-grade, et même des « biographies d'objets ». Bien des biographies relèvent du défi ou du tour de force, comme celles qui concurrencent les Mémoires de leur auteur, Chateaubriand ou Malcolm X. La biographie, enfin, a migré hors du livre, vers le « biopic » cinématographique ou vers ces étranges performances d'art contemporain où des artistes exposent leurs propres nécrologies écrites par eux-mêmes. Ce numéro de « Critique », dirigé par Antoine Compagnon et Philippe Roger, enquête sur les formes variées de l'écriture contemporaine de la vie en examinant quelques récits de vie récents, mais surtout en sinterrogeant sur le destin des genres, littéraires ou non, qui traitent de la vie.