L’hebdomadaire "Die Zukunft" en exil, 1938-1940 : les armes intellectuelles de la lutte contre le nazisme
Bulletin : Revue historique 690 - avril 2019
01 avril 2019
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Numéros de page :
pp.371-404
"Die Zukunft", une publication de l’émigration antifasciste allemande qui a paru à Paris de 1938 à 1940, nous invite à enquêter sur l’influence des intellectuels pendant l’entre-deux-guerres et plus particulièrement sur les initiatives des émigrés pour mettre en garde les démocraties occidentales contre le régime nazi et sa politique expansionniste. L’hebdomadaire, créé par l’ancien homme fort du Komintern en Europe, Willi Münzenberg, après sa rupture avec le stalinisme en 1938, nous permet de découvrir un réseau transnational de premier ordre, qui regroupe 341 auteurs issus de 25 pays. On note la présence d’intellectuels et d’hommes politiques de renom, tels qu’Heinrich, Thomas, Klaus et Erika Mann, Alfred Döblin, Lion Feuchtwanger, H.G. Wells, Aldous Huxley, Harold Macmillan, Clement Attlee, Edouard Daladier ou Edouard Herriot. Même Jawaharlal Nehru contribue au débat sur l’avenir des empires coloniaux relayé par le "Zukunft". Car cette publication ne se contente pas de diffuser des informations pour les émigrés germanophones d’Europe centrale rassemblés à Paris, il se fixe comme objectif de débattre d’un nouvel ordre allemand, européen et mondial après la chute d’Hitler, d’où son titre ("Die Zukunft" signifie "L’Avenir"). Mais le point qui nous intéresse dans cet article est l’analyse du national-socialisme dans les pages du "Zukunft" et, par extension, la contribution de ses auteurs à la définition de la notion du « totalitarisme » qui émerge pendant l’entre-deux-guerres. Certains d’entre eux participent aux premiers rangs à ce débat, tels qu’Arthur Koestler, Manès Sperber, Raymond Aron, les antifascistes italiens Don Luigi Sturzo et Francesco Saverio Nitti ou le menchevik Alexander Schifrin. Le pacte germano-soviétique choque ces intellectuels et les amène à ranger l’URSS dans le camp « totalitaire », à côté de l’Allemagne et de l’Italie. Willi Münzenberg lance dans ce contexte sa célèbre accusation contre Staline dans le "Zukunft" du 22 septembre 1939 : « Le traître, Staline, c’est toi ! » (« Der Verräter, Stalin, bist Du ! »). La ligne du "Zukunft" préfigure ainsi le « consensus occidental » pendant la guerre froide, auquel contribueront ses anciens auteurs activement.