Des redresseurs de torts, inconditionnels du politiquement correct, ne manqueront pas de nous reprocher de consacrer un dossier à un cas flagrant d'appropriation culturelle. De quel droit, diront-ils, de grands cinéastes - Renoir, Cukor, Lean, Lang, Duras, Ford, Ivory, Carneau, Malle - sont-ils allés trouver leur inspiration dans une culture et un pays qui leur sont étrangers? Pourtant, l'Inde leur a inspiré certains de leurs meilleurs films. Certes, on peut y rencontrer des clichés- serviteurs zélés, maharadjahs indolents et cruels, ascètes approbateurs, animaux exotiques, lépreux inquiétants - mais pas plus que dans les films concernant leurs propres pays. Cette revue a si souvent commenté les oeuvres des grands réalisateurs indiens - Satyajit Ray, Ritwik Ghatak, Mrinal Sen, Shyam Benegal, Adoor Gopalakrishnan, Anurag Kashyap -, et recueilli leurs propos, qu'elle peut interroger aujourd'hui le regard porté par les réalisateurs occidentaux sur le sous-continent indien. Pas seulement : en adaptant les oeuvres de Kipling, le plus grand écrivain anglais qui y ait trouvé son inspiration, le chef-d'oeuvre de E. M. Forster, "La Route des Indes", ou le roman de Rumer Godden, "Le Fleuve", mais aussi en créant des films aussi singuliers que "La Croisée des destins", "India Song" ou "Nocturne indien". Des épopées colonialistes comme "Les Trois Lanciers du Bengale" à une bonne partie de l'oeuvre de l'Américain James Ivory, l'Inde a toujours été un objet de fascination qu'il était bienvenu de décrypter. Sommaire. Kipling et l'Inde à l'écran, 1935-1975. Le visiteur et l'hôte. Le Raj vu par Cukor, Lean et Renoir. Coucher de soleil, tigres, femmes et chants : cinq films de James Ivory. La partie la plus pompeuse de la demeure de l'homme. Sur "Le Tigre du Bengale", "Le Tombeau hindou" de Fritz Lang. Mumbai, ville ouverte : "India" de Roberto Rossellini. L'Inde comme exercice de la raison critique, Louis Malle, 1968. Les Indes, dans son salon à Neuilly .Sur "India Song". Le dialogue inachevé de "Nocturne indien".