Aller au contenu principal

Les Chroniques « que a faittes nostre amé et feal chancellier ». Pierre d’Orgemont et la "Chronique des règnes de Jean II et de Charles V" : essai de restitution

01 janvier 2023
Numéros de page :
pp.3-59
La "Chronique des règnes de Jean II et de Charles V" est considérée depuis le milieu du XIXe siècle comme une histoire officielle des deux règnes, dont le roi Charles V aurait eu l’initiative et dont il aurait confié la rédaction, non plus comme ses prédécesseurs aux moines de Saint-Denis, mais à l’un de ses plus proches officiers, le chancelier Pierre d’Orgemont. Au début du XXe siècle, son éditeur, Roland Delachenal, a imposé l’idée de l’influence du roi sur le texte, voire de sa collaboration à sa conception et sa composition. La présente contribution voudrait rendre à Pierre d’Orgemont sa part auctoriale. Pour ce faire, elle s’efforce en premier lieu de scruter au fil de la lecture les indices que l’auteur a pu laisser transparaître de sa propre existence, de l’espace qui lui était familier et dans lequel il se déplaçait, et de son rapport personnel et professionnel au temps et à la chronologie. L’article pose ensuite la question de la genèse de l’œuvre : en dépit de fortes dissemblances entre le récit du règne de Jean II et celui de Charles V, on a généralement considéré que la chronique avait été composée d’un seul jet dans les années 1370. Or, l’examen de la tradition manuscrite, mais plus encore une lecture en parallèle de la "Chronique française" (dite de Guillaume de Nangis, amplifiée à plusieurs reprises au cours du XIVe siècle) permettent de distinguer deux moments de rédaction, le premier relevant sans doute de la seule initiative de Pierre d’Orgemont, alors conseiller du roi au Parlement de Paris, et achevé avant la mort de Jean II. Enfin, la prise en compte de l’intégralité de la chronique, avec ses deux continuations allant jusqu’en 1381 puis jusqu’en 1384, invite à reconsidérer les perspectives même d’un projet historiographique, initié plusieurs années en amont du règne de Charles V et poursuivi au-delà de sa mort, forgé au gré de la longue carrière de Pierre d’Orgemont, tout autant au service du duché de Bourgogne et de son prince apanagiste, Philippe le Hardi, que du roi de France.