Plusieurs premiers longs métrages français ont fait sensation cette année à Cannes, dont "Le Royaume" de Julien Colonna, présenté à Un certain regard. Sa puissante originalité consiste à mêler l'histoire intime (et universelle) des rapports père-enfant à une ample fresque, qui évite les pièges du film à thèse sur le "problème corse". Son style allie l'hyperréalisme du portrait de milieu avec l'élégie tragique de certains westerns crépusculaires et pose la question de la masculinité toxique au sein d'un groupe social (le scénario est coécrit par Jeanne Herry). Surtout, le film dévoile une saisissante maîtrise du jeu d'acteurs, avec une distribution constituée d'inconnus. Au côté de Ghjuvanna Benedetti au tempérament explosif, héroïne adolescente "ordinaire" prenant peu à peu conscience de son destin, le patriarche interprété par Saveriu Santucci est non seulement la révélation d'une vraie "nature" à l'écran, mais aussi celle d'un talent d'incarnation qui a pour point d'orgue la scène-clé du film, un long monologue presque chuchoté sur lequel repose toute sa construction. Le cinéma, au contraire de la musique, est un art miraculeux où une partition virtuose peut être confiée avec conviction à un soliste débutant. Dans l'entretien qu'il nous a accordé, Julien Colonna nous détaille comment ce mystérieux processus a pu avoir lieu. Sommaire. Sang pour sang captivant. Entretien avec Julien Colonna : "Le travail des contrastes, c'est ce qui m'intéresse".