Un Son clair dans le pot d'encre. Ariane Dreyfus
Bulletin : Europe 1147
01 novembre 2024
Auteurs
Numéros de page :
pp.283-289
Dans le très beau film de Kore-eda Hirokazu, "Tel père tel fils", entre deux scènes où avance ce qu'on appelle si mal une intrigue, l'écran, accompagnant un déplacement en voiture des personnages, se trouve entièrement occupé par le mur circulaire d'une bretelle de périphérique. Comme à travers un pare-brise, le regard s'attarde et flotte sur un long mur incurvé dans un interminable virage : du béton, des rampes métalliques, un galon de brique m'a-t-il semblé (ces secondes étirées laissant en mémoire davantage le long mouvement que les détails sur lesquels glisse l'avancée de l'automobile). Un tel non-lieu, pur déroulé d'espace, délaissé d'ordinaire par les films sacrifiant tout à ce qu'on appelle « l'action », par l'attention d'une implacable caméra révèle ces moments creux et mystérieux qui forment l'arrière-pays de nos existences, quand nous n'y brodons plus des fioritures psychologiques ou une agitation qui nous donne l'illusion de décider de nos vies : un instant de pure perception donc, mais planante et pourtant peu à peu d'une intense profondeur, et finalement d'une tristesse infinie. Ce n'est pas seulement par association d'idées, d'un film à l'autre, que m'est revenu le souvenir de ce moment cinématographique à la lecture du livre "Le Double Été" d'Ariane Dreyfus, publié en juillet 2024 par Le Castor Astral.