Georges Bataille est l’un des écrivains de ce siècle qui a le plus violemment bousculé l’homme et les fondements de sa pensée. Celui qui écrivait « je ne suis pas un philosophe mais un saint, peut-être un fou » a composé une oeuvre à la fois marginale, diversifiée et cohérente, au carrefour des savoirs. Toute son oeuvre est hantée par la présence de la peinture, liée aux obsessions majeures du jeu, de la dépense, du sacré, de la mort et de l’érotisme. Cette « part de l’art » est celle de l’inconnu et du « non-savoir » qui fait éclater les limites du discours rationnel.

Avec Freud une nouvelle discursivité s’est instaurée dans le monde. Mais sa pensée a mûri dans un contexte épistémique et éthique précis. Lacan a souligné ce que Freud doit à la culture du « bonheur dans le mal » dans les lettres et la pensée. Baudelaire, Huysmans, Bataille, réunis dans cet ouvrage, ont en commun de tenter de constituer leur expérience en savoir. Ils se font, chacun à leur manière et avec une radicalité inégale, théoriciens de leur expérience subjective, de leur œuvre, et des arrangements de jouissance de leur époque. Ils récusent ce que Baudelaire nomme « l’entreprise du bonheur du genre humain ». Cette interrogation fait date dans l’histoire de la littérature. Elle ne date pas pour autant. Elle a contribué à frayer la voie où Freud s’est engagé. Elle est bien l’affaire de la psychanalyse aujourd’hui, et elle intéresse aussi chaque sujet.

Ce volume raconte l'amitié, intellectuelle et personnelle, entre Georges Bataille et Michel Leiris. Dans une édition érudite sans cuistrerie, Louis Yvert a regroupé les textes de l'un sur l'autre ainsi que ce qu'il reste de leur correspondance et les notations sur Bataille du Journal de Leiris. Les deux hommes ne cessent de se fâcher avec des réconciliations qui demeurent mystérieuses, si bien que Bernard Noël écrit dans sa postface : «Ces différends semblent chaque fois devoir entraîner une brouille définitive, mais il n'en est rien, de telle sorte que le recul et l'issue favorable leur donnent l'allure de scènes de ménage métaphysiques.»... C'est Bataille qui incitera Leiris à écrire "l'Age d'homme", en lui commandant une autobiographie érotique et lui recommandant une psychanalyse. C'est Leiris qui sera à l'origine de l'Erotisme : «Je n'aurais pu écrire ce livre si j'avais dû, seul, élaborer les problèmes qu'il me posait..."... Mathieu Lindon in : "Libération"

L'excès est chez Bataille ce qui restitue à la parole et à l'existence la chance du refus. Il ruine l'idéal et l'utile, et s'attaque au sérieux d'un ordre des choses incompatible avec l'abondance inventive du désir. Dans ces pages où l'érotisme est lieu du questionnement de l'autorité, forme de vérification de la viabilité de la liberté, rendre le corps à lui - même signifie le vivre dans l'insubordination de ses possibilités et la destitution outrageuse de ses fonctions.

La rencontre de Georges Bataille et Michel Leiris date de 1924. Leur amitié, indémentie, orageuse parfois et à certains égards intenable, dure jusqu'à la mort du premier (1962) et compte ses tiers inclus ou exclus, qui composent le générique du siècle : Masson, Laure, Limbour, Caillois, Breton, Sartre, Picasso. Les deux figures sont ici confrontées en raison de leur proximité et des débats qu'elle engage autour de l'amitié, du masculin/féminin, de la révolution des affects et de l'intimité (par l'érotisme, la pensée de la mort, comme par l'autobiographie), de l'art, et de ce qui finit par subsister d'insaisissable au classement et à la raison (la poésie comme part maudite). Les essais rassemblés dans ce volume sont issus d'un colloque qui s'est tenu à Orléans en novembre 1997 à l'occasion du centenaire de Georges Bataille. Francis Marmande en était le commissaire.

Georges Bataille, qui avait une formation d'archiviste, occupa durant sa vie divers postes de bibliothécaire. Si l'auteur fut un véritable rat de bibliothèque, comme l'attestent les registres où furent consignées ses innombrables lectures, il resterait à établir la liste, tout à fait officieuse, des lectures d'oeuvres le plus souvent littéraires qu'il pratiquait dans les marges de ses propres romans et récits, avant de chercher à discrètement les y intégrer. Mais c'est derrière ces oeuvres littéraires "empruntées" que se développeront les récits propres à Bataille.