Béraud a été l'assistant du cinéaste pour trois films : "Mes petites amoureuses", "Une sale histoire" et "La Maman et la putain". Dans son "making of", Béraud brosse le portrait d'un réalisateur exigeant et tourmenté, qui se suicidera en 1981.

"La Maman et la Putain", le film de Jean Eustache de 1973, était jusqu'à présent quasi invisible, à part sur Internet dans de vilaines copies et exceptionnellement sur les écrans, comme pour un hommage de 2017 à la Cinémathèque française. Le film a été restauré et peur enfin être vu dans de bonnes conditions, après cinquante ans de vie presque fantomatique.

Malgré quelques rares projections publiques et un récent passage sur Arte, "La Maman et la Putain" demeurait jusqu'à aujourd'hui un objet de désir, comblé souvent dans les bas-fonds de la piraterie. Enfin restauré, il fera l'ouverture de Cannes Classics à l'orée du Festival, cinquante ans après sa réalisation, avant de revenir en salles le 8 juin. Les Films du Losange orchestreront le resurgissement de toute la filmographie de Jean Eustache dans les mois à venir, en salle puis en DVD, et nous y reviendrons.

La ressortie restaurée, ce 8 juin 2022, de "La Maman et la Putain" (voir "Cahiers" no 787), a mené Françoise Lebrun à vivre cette situation étrange : gravir le tapis rouge cannois pour le même film à cinquante ans de distance. Celle qui l'année dernière y présentait "Vortex" de Gaspar Noé aux côtés de Dario Argento dans le rôle d'une mère qui perd ses mots demeure pour tout cinéphile une présence, une voix, reconnaissables entre toutes.

Invisible depuis près de trente ans, "La Maman et la Putain", le film le plus célèbre de Jean Eustache, a scandalisé lors de sa présentation au Festival de Cannes, en 1973, comme ce fut aussi le cas, cette même année, avec "Le Dernier Tango à Paris" et "La Grande Bouffe" qui figuraient dans la même sélection. Pour des raisons esthétiques, culturelles et sociologiques, le film est devenu légendaire et a durablement marqué au moins deux générations.

Jean-Pierre Léaud porte des foulards dans Paris en noir et blanc. On entend des chansons de Fréhel ou de Piaf. Au lit, à la terrasse des Deux-Magots, ça parle sans cesse. Ça boit trop. C’est un film français de presque quatre heures sur l’impossibilité de l’amour. L’œuvre la plus connue d’un «artiste maudit». Mais nul romantisme chez ce cinéaste de la répétition et de l’enfermement.

Après la miraculeuse ressortie de "La Maman et la Putain" en 2022, c'est toute la filmographie de Jean Eustache qui retrouve les salles obscures. En contrepoint, un essai fulgurant vient éclairer la finesse de cette oeuvre et son rapport au contemporain.

Jean Eustache n'a jamais disparu des pages des "Cahiers", qui ont publié le scénario de "La Maman et la Putain" quelques années après sa mort ainsi que plusieurs entretiens, un supplément (en avril 1998), et une monographie (d'Alain Philippon), la seule jusqu'à ce que Kentaro Sudoh ne lui consacre un ouvrage de recherche fin 2022 et Philippe Azoury, ce mois-ci, un passionnant essai.

Le bandeau promotionnel de la jaquette de ce coffret édité par Carlotta arbore fièrement : "Un auteur plus que moderne, résolument contemporain et universel". Après le visionnage des six Blu-ray et la lecture du livre d'entretiens qui les accompagne, ces adjectifs semblent hors sol pour caractériser une oeuvre qui traite son époque avec une prudence circonspecte, réhabilite la culture populaire et se préoccupe comme de sa première gauloise de rupture esthétique - tout en livrant le plus précieux des témoignages sur la révolution des consciences.

Un demi-siècle après la sortie sulfureuse de "La Maman et la Putain", les films de Jean Eustache, restaurés en version 4K, ont retrouvé le chemin des salles en juin 2023. En même temps que cette rétrospective intégrale, paraît aux éditions Capricci un essai incontournable sur l'oeuvre du cinéaste, "Jean Eustache. Un amour si grand..." Dans une langue d'une rare vivacité, Philippe Azoury, scénariste et auteur d'essais sur Jim Jarmusch et le Velvet Underground, entre autres, nous plonge dans la dimension infiniment complexe et bouleversante d'un cinéma qui nous regarde.