Vingt et un films en vingt et un ans (on ne compte pas les courts-métrages), autant de chefs-d'oeuvre pour ses thuriféraires, du "Monde à "Libé" en passant par les "Cahiers du Cinéma". Et toujours le même sujet : les femmes, l'alcool et lui (du moins, son alter ego).

Accompagné de sa fille, le réalisateur Byungsoo (Kwon Hae-hyo) se rend dans l'immeuble de madame Kim (Lee Hye-young), vieille amie décoratrice d'intérieur, avant d 'apparaître à l'autre bout du film en compagnie d'une femme s'employant à vendre des logements.

Ni tout à fait le même, ni tout à fait un autre : depuis au moins "Oki's Movie" (2010), Hong Sang-soo, qui écrit ses scènes pour le lendemain et les monte le surlendemain, a émoussé par sa célérité la capacité à repérer les variations d'un film à l'autre chez ses spectateurs, trop occupés à discerner le jeu des sept erreurs à l'intérieur des films, traversés par des reprises, des sautes temporelles, des incertitudes quant à la nature mémorielle ou onirique de séquences repliées l'une sur l'autre.

Rien n'est pleinement fixé pour les personnages de Hong Sang-soo, parce que le genre humain est extrêmement ambigu dans ses films, et cette ambiguïté fait tout son charme. Ce charme apparaît comme il disparaît, il ne se veut pas défini : on ne peut que l'effleurer, il est diffus, répandu dans l'instant ; c'est une présence. Gam-hee, le personnage qu'interprète ici Kim Min-hee, a cette qualité de présence. Elle est précisément évasive- et ce serait une définition possible du charme. S'enfuir, comme il est dit dans le titre du film, ne pourrait-ce pas être aussi s'évader?

"La Femme qui s'est enfuie" : voilà qui ressemble au titre d'un film policier ou fantastique, un titre choisi par Fritz Lang, Alfred Hitchcock ou Jacques Tourneur; un titre, en tout cas, qui pose cette question : qu'est-ce qui, dans une oeuvre plus connue pour dépeindre le caractère doux-amer des incertitudes sentimentales que pour représenter des situations violentes ou stupéfiantes, peut bien avoir à voir avec le suspens ou l'effroi ?

Qu'aime-t-on vraiment quand on aime une oeuvre, qui plus est contemporaine, c'est-à-dire amenée à s'augmenter avec le temps ? Est-ce la persistance d'une forme dans la succession de ses objets particuliers, ou au contraire le processus de différenciation qui distingue toujours une livraison des précédentes ? Est-ce la série ou les variations ? Ce qui change ou ce qui fait retour?

A propos de la distinction initiée par Emile Benveniste entre histoire et récit, Gérard Genette se fustigeait douloureusement d'avoir omis de citer le verbe "sembler", présent pourtant dans le texte des "Problèmes de linguistique générale", et d'être en quelque manière responsable d'une fausse idée - à savoir que les événements à l'horizon de l'histoire se racontent eux-mêmes, alors qu'ils se contentent (et c'est déjà pas mal...) de le paraître.

Pour distinguer "De nos jours...", dira-t-on de lui plus tard qu'il s'agit du film sans alcool de Hong Sang-soo ? En tout cas, contrairement à ce qu'on aurait pu croire, les oeuvres du Coréen tendent à se singulariser de plus en plus.

"Juste sous vos yeux" ajoute à l'oeuvre d'Hong Sang-Soo un chapitre considérable, d'une légèreté ineffable, concernant pourtant un grand sujet qui n'en a jamais l'air, à savoir la recherche de la grâce, la tension de l'être tout entier vers elle.

Devenue présence récurrente chez Hong (non seulement trois films mais, dans le premier, "In Another Country", en 2012, trois segments avec un personnage distinct), Isabelle Huppert revêt dans son cinéma un caractère asymptotique. L'étrangère s'y meut sans jamais pour autant prendre, consister, laissant son personnage comme à l'horizon, quotidien mais hors d'atteinte, délibérément sous-écrit. Sommaire. Le nom d'Huppert, la critique du film. Créer les conditions du hasard, entretien avec Isabelle Huppert