Philippe Forest, montreur d'ombres
Bulletin : Art press N°496 496
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pp.86-88
"Au secours !" Tel est le message qui ouvre le roman de Philippe Forest, "Pi Ying Xi". Un appel à l'aide "dépêché par le hasard", trouvé sur un papier plié en quatre contenu dans un biscuit. Ce pourrait être, dit "mezzo voce", ce que Heidegger nous annonçait sans précaution, à savoir que l'homme, cet "être-pour-la-mort", était "jeté dans le monde", après quoi il n'avait plus qu'à appeler à l'aide comme il pouvait ; ou ce que Bossuet, sans prendre plus de gants, nous tendait un miroir où nous reconnaître : "Je ne suis rien, ce petit intervalle n'est pas capable de me distinguer du néant où il faut que j'aille. Je ne suis venu que pour faire nombre, encore n'avait-on que faire de moi ; et la comédie ne se serait pas moins bien jouée, quand je serais demeuré derrière le théâtre". Quel est le sous-titre du livre de Philippe Forest ? "Théâtre d'ombres". Après le récit de son long périple en Chine entamé depuis son China Town du 13e arrondissement de Paris, Forest termine son roman sur le texte d'un grand "montreur d'ombres". Il s'agit de Paul Claudel et de son poème "Dissolution". La littérature, en somme, n'aurait-elle jamais été que la tentative de donner forme à l'aventure d'un corps jeté dans le monde jusqu'à sa dissolution ? Elle a mille moyens pour y parvenir, consistant souvent en de simples trucs à base de beaucoup de bruits et de feux de rampe violents. Plus rare est le théâtre d'ombres, où l'ombre, écrit Forest, se dépose "sur un écran de pierre ou de papier". Dès lors, moins d'exhibition, et paradoxalement plus de profondeur. Une pratique à laquelle, depuis "L'Enfant éternel" (1997), reste fidèle Philippe Forest et qui fait de son oeuvre une des plus singulières d'aujourd'hui.