Guerre civile et épreuve délibérative
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20 p. / p. 127-146
Les registres de délibération des assemblées (villes, Etats provinciaux, parlements) à l'époque moderne, souvent laconiques, passent pour des sources inutiles pour l'écriture d'une histoire des pratiques délibératives. Cependant, en comprenant toutes les implications de l'esprit unanimiste de ces institutions, et par une certaine familiarité avec les pratiques d'écriture des greffiers, il est possible de repérer des fonds susceptibles de nous renseigner sur les conditions concrètes de la prise de décision. A partir de ces sources, on peut espérer saisir les modalités de la prise de parole dans le processus délibératif. L'analyse de la parole conflictuelle est particulièrement intéressante, car cette parole constitue une contradiction ontologique avec la vocation de cohésion communautaire de l'assemblée. Dans ce sens, les débuts des troubles de la Ligue en France (1585-1588) sont un champ de recherche pertinent, car les assemblées mettent en présence deux partis opposés : les royalistes et les ligueurs. L'étude des registres des Etats de Provence, du parlement d'Aix et de la municipalité aixoise permet de voir les stratégies discursives élaborées pour que le conflit latent n'éclate pas dans ces assemblées : un art de l'ambiguïté, du louvoiement et du détour. Mais il arrive aussi que certains acteurs fassent le choix stratégique de fissurer la fiction unanimiste, dans l'espérance de voir l'unanimité se rétablir autour de leur opinion. Cependant, lorsque les tensions sont trop grandes, un processus de scission institutionnelle et de relégation réciproque permet à chaque parti, chacun de son côté, de reconstituer la cohésion communautaire rêvée.