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Le Jeu des aveugles et du cochon

01 juillet 2015
Numéros de page :
32 p. / p. 525-556
Dans certaines villes, en particulier en Flandre ou aux alentours, se tint à la fin du Moyen Age un jeu bien particulier, où quelques aveugles étaient placés dans un enclos avec un cochon. Armés de bâtons, ils devaient frapper à mort la bête, dont la dépouille revenait en prix à celui qui l'aurait tuée. Dans l'agitation du combat, les pauvres hommes se frappaient autant les uns les autres qu'ils n'atteignaient l'animal, au grand plaisir du public nombreux. Ce divertissement est cruel et horrible. Mais les travaux des disability studies apprennent à concevoir le handicap comme une construction socio-culturelle. Il importe donc de ne pas interpréter ce jeu hors du contexte dont il était issu, et plusieurs lectures en sont alors possibles. La première est de le comprendre comme un rite cathartique où les aveugles sont d'abord des mendiants, qui faisaient l'objet d'un fort contrôle social. En se moquant d'eux et en leur infligeant une telle violence, la société urbaine les disciplinait tout en exorcisant la peur que lui inspirait leur handicap. D'autre part, le choix du cochon, animal souvent associé au mal ou au péché, comme adversaire des aveugles est tout sauf anodin, le porc faisant fonction de double de l'aveugle. Dans plusieurs exempla, le jeu est évoqué comme métaphore du combat entre les hommes et le péché ; les aveugles sont également parfois assimilés aux mauvais prédicateurs. Enfin, ce spectacle s'insère dans la communication politique des autorités urbaines ; on peut le voir comme une parodie de tournoi, avec une inversion (les faibles jouant les forts) typique du carnaval. Il peut alors être comparé à d'autres jeux comme les courses de prostituées, qui servaient à ridiculiser les ennemis. Finalement, la polysémie du jeu, caractéristique des rites médiévaux, reflète la position liminale des aveugles dans la société urbaine de la fin du Moyen Age.