Dialogue historiographique et rapprochement diplomatique : le colloque franco-roumain d'histoire de Bucarest, 6-11 octobre 1969
Bulletin : Revue historique juillet 2021
01 juillet 2021
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Numéros de page :
pp.697-716
Le Colloque franco-roumain d’histoire qui s’est tenu à Bucarest du 6 au 11 octobre 1969 est un événement remarquable dans l’historiographie roumaine de la période communiste, grâce à la présence de plusieurs noms prestigieux de l’Ecole des "Annales". Fondée sur les archives privées des principaux organisateurs – Alphonse Dupont, pour la France, Andrei Oţetea, pour la Roumanie – cette étude propose une analyse de cette page d’histoire de l’historiographie. Les relations durables entre les deux historiens, leur influence considérable dans la communauté scientifique de leurs pays et leur dévouement pour mettre en place ce projet ont concouru à la réussite de ce prestigieux événement. L’importance du colloque dépasse pourtant le domaine strictement historiographique. En effet, il a donné aux chercheurs roumains l’occasion de s’ouvrir au dialogue international, en particulier avec leurs confrères français, dans les conditions du dégel des relations entre les deux blocs. Cette aspiration était d’autant plus ardente qu’elle se trouvait en décalage par rapport à leurs collègues des autres pays de l’Est, en particulier de Hongrie : ces derniers, bien plus actifs dans le dialogue avec les historiens de l’Ouest, avaient eu déjà plusieurs occasions d’exposer leurs interprétations sur les questions litigieuses du passé. Cette situation semble d’autant plus paradoxale que la Roumanie réalise à ce moment un grand virage sur la scène politique internationale, se rapprochant de l’Occident plus que les autres pays du bloc communiste. Deux événements ont profondément marqué ce virage : la visite du président De Gaulle en Roumanie, en 1968, et celle de Nicolae Ceauşescu en France, en 1970. Le colloque des historiens français et roumains s’inscrit dans ce processus de rapprochement diplomatique et culturel : il en est à la fois la conséquence et l’accélérateur de son développement. Il reste l’expression la plus prestigieuse de la collaboration historiographique franco-roumaine, bien que les résultats escomptés à plus long terme ne soient pas au rendez-vous, à cause de la nouvelle direction prise par une historiographie roumaine de plus en plus dominée par des impératifs idéologiques.