Cinquante ans de carrière et toujours à la manoeuvre. Kaiji Kawaguchi, maître du thriller géopolitique, est un talent discret mais constant. Découvert en France vers le milieu des années 2000 (avec "Eagle" chez J'ai lu puis Casterman, "Spirit of the Sun" chez Tonkam et "Zipang" chez Kana), il revient aujourd'hui chez Panini, qui a la bonne idée de rééditer son excellent polar "Seizon Life". Le prétexte était donc tout trouvé pour partir à la rencontre de l'auteur, qui nous a aimablement ouvert les portes de son atelier tokyoïte en juillet 2023.

Découvert en France à une époque où le lecteur ne risquait pas la surchauffe cérébrale en tentant de suivre l'actualité du manga (nous étions alors en 1999, et les fans de "One Piece" n'étaient pas encore nés), le travail de Hideki Mori est resté pendant une dizaine d'années totalement absent des lineups hexagonaux. Un vide béant comblé par les « stratèges » de Vega-Dupuis, qui honorent le talent de ce grand nom du gekiga en rééditant son chef-d'oeuvre, "Bokko".

Présente lors de la dernière édition de Japan Expo à Paris, l'autrice de "Shut Hell" et "Ookami Rise" (tous deux édités par Panini) n'a pas rechigné à la tâche : bain de foule, dédicaces, interviews ; bref, la totale pour cette pure mangaka de genre transie d'un amour infini pour l'action. Entre deux confessions sur ses sympathiques lubies (les trains et les marteaux d'armes), elle dissèque pour nous une carrière traversée par le doute et le goût de l'apprentissage.

Tomoko Yamashita est passée à l'offensive. L'autrice de "The Night Beyond the Tricomered Window" (édité par Taifu Comics) et d'"Entre les lignes" (disponible chez Kana) veut désormais jouer les éveilleuses dans une société japonaise idéologiquement engourdie. Son discours, précis et spontané, coïncide avec l'évolution d'un style graphique qui refuse l'enluminure et l'immobilité. En d'autres termes, Yamashita n'a pas fini de nous cueillir...

Impertinente et révolutionnaire, Kyôko Okazaki interrogeait l'intime comme personne, dessinait des héroïnes souveraines, et entraînait dans son sillage toute une génération d'artistes bouleversée par une oeuvre-brasier aujourd'hui encore incandescente. Cofondateur du magazine "Feel Young", qui a pendant plusieurs années accueilli les travaux de l'autrice (dont "Helter Skelter", qui ressort chez Atelier Akatombo), Row Yoshida revient sur une collaboration fructueuse, tristement avortée par un foutu accident de la route qui coupa court à l'ascension de la mangaka.

Après la Révolution française et ses décapitations à la chaîne (la saga "Innocent", publiée chez Delcourt), Shin'ichi Sakamoto s'attaque à l'Everest littéraire de Bram Stoker et revisite la figure du comte Dracula pour les besoins de "#DRCL midnight children", sa nouvelle série en cours de publication au Japon (en France, c'est Ki-oon qui assure la livraison). Invité de marque du prochain Festival d'Angoulême, où une chapelle lui sera dédiée (!), le mangaka a accepté de nous livrer quelques secrets de fabrication, tout en prenant soin de ne pas trop en dévoiler. Mystère, toujours...

Formée au shôjo à son corps défendant au début des années 80, Kazumi Yamashita va prendre la tangente du seinen à l'orée de la décennie suivante, et ainsi donner un second souffle à sa carrière. Inédite en France jusqu'à aujourd'hui, l'autrice nous est présentée par les âmes généreuses de chez Mangetsu, qui éditent l'excellent "Land", un drame fantastique aux relents de folk horror, nourri en partie par les souvenirs et fantasmes d'enfance de la mangaka. Ça tombe bien, elle nous en dévoile quelques-uns dans l'entretien qui suit.

Repérée sur le Net par des éditeurs chasseurs de têtes, Mokumokuren n'a pas attendu très longtemps avant de polariser l'attention des lecteurs japonais. Avec l'étrange "The Summer Hikaru Died" (publié chez Pika), bromance horrifique autour de la dépossession des corps, la mangaka signe une série à la bizarrerie sophistiquée, qui tranche agréablement avec la prévisibilité des productions fantastiques actuelles.

Quand un vétéran de l'horreur réputé pour ses concepts méchants s'associe à un jeune dessinateur au style surtendu, le résultat fait évidemment des étincelles... Ou plutôt de grosses giclées écarlates : avec "Pumpkin Night", slasher tordu sorti il y a quelques semaines en France (chez Mangetsu), Masaya Hokazono et Seima Taniguchi infiltrent une mythologie pop typiquement américaine pour mieux la soumettre à leur vision iconoclaste. La cruauté, oui, mais pas n'importe comment !

Lancé suite à l'arrêt du mythique Garo, le magazine AX accueille depuis sa création en 1998 une faune artistique parmi la plus chamarrée du paysage manga. À l'origine de sa naissance, Noriko Tetsuka nous explique comment elle a repris et porte aujourd'hui un flambeau suivi avec passion par tous les amateurs de propositions dissidentes.

Canonisé au dernier festival d'Angoulême, où une exposition dédiée à son "Habitant de l'infini" a affolé quelques rétines délicates, Hiroaki Samura fait également son retour au rayon nouveautés avec "Die Wergelder" (édité par Pika), un thriller d'action ultraviolent dans lequel l'auteur déclare sa flamme à un archétype ambivalent : la femme fatale. Comment le mangaka façonne ses héroïnes et tente de leur apporter une épaisseur psychologique qui écaille leur vernis pop et sexy ? Réponses dans les pages qui suivent.

Découvert en France avec l'excellent "Freesia", série dystopique publiée au début des années 2010 chez Kazé Manga, Jirô Matsumoto a depuis disparu du marché hexagonal. Trop perché, trop radical, trop mordant, peut-être ? Cette inexplicable maldonne est enfin corrigée par l'éditeur Noeve Grafx, qui libère le mangaka du purgatoire en sortant son volcanique "Beautiful Place", une "girls with guns story" où le Japon est transformé en champ de bataille sur lequel s'affrontent de très cool lycéennes armées jusqu'aux cils. Pourquoi diable Jirô Matsumoto a-t-il de telles lubies ?

Fuyumi Sôryô est une autrice de la rupture. Rétive aux exigences éditoriales et aux méthodes de travail traditionnelles, elle trace un sillon passionnant, car farouchement personnel, dans une industrie qui fait souvent peu de cas des sensibilités dissidentes. Rencontrée à Tokyo à l'occasion de la ressortie en édition perfect de "Mars" chez Panini, la mangaka nous a détaillé quelques-unes de ses aventures éditoriales avec une spontanéité décoiffante.

Modeste, voire poliment laconique, Yôsuke Takahashi n'a peut-être pas la notoriété de pop star d'un Junji Itô ou d'un Kazuo Umezz, il n'en demeure pas moins une personnalité fondamentale du manga d'horreur. Alliant rondeur du trait et cruauté du propos dans des récits aux effluves parfois surréalistes, le mangaka connaît enfin sa première publication française avec la sortie du recueil "La Collectionneuse" chez IMHO. Le moment parfait pour tenter d'en savoir plus sur cet artisan injustement resté dans l'ombre de certains confrères.

Révélée avec "Sennen gahô", série intimiste à l'aquarelle d'abord publiée en ligne avant de connaître le succès en format relié, Kyô Machiko a la plume légère et le regard perçant. Enfin éditée en France avec "Cocon" (disponible chez IMHO), premier volet d'une trilogie informelle autour de la guerre, la mangaka nous raconte comment celle-ci est devenue un leitmotiv artistique et pourquoi elle a décidé de l'aborder sous l'angle de l'imaginaire.