Le vieux Steven se souvient du jeune Spielberg tiraillé entre la rigueur de son papa, l'audace de sa maman et le bruit de sa petite caméra. Un récit d'apprentissage qui se regarde comme un grand autoportrait psy d'une violence troublante.

"The Fabelmans" de Steven Spielberg devait marquer le point culminant d'une décennie où de nombreux metteurs en scène sont revenus en enfance et sur leurs parcours d'artistes. Le terrible rejet du film par le public US aura plutôt acté la fin d'un monde où les grandes signatures dominaient le cinéma mondial et le refus sans appel de voir la plus célèbre d'entre toutes la jouer trop perse.

Sous la surface du très grand spectacle, entre les lignes de ses films politiques et historiques, Steven Spielberg n'a jamais parlé que d'une chose : sa maison et sa famille. Retour sur une oeuvre fondamentalement domestique, sur laquelle "The Fabelmans" jette une lumière nouvelle.

Il aura attendu ses 76 ans pour affronter frontalement les traumatismes de sa jeunesse et la naissance de sa vocation artistique. "The Fabelmans", fiction inspirée, cocasse et émouvante, nous offre de nombreuses clés pour revisiter son oeuvre colossale. Bienvenue dans l'intimité d'un grand cinéaste.

Au début des années 1950, des parents emmènent leur fils de cinq ans au cinéma pour la première fois. Celui-ci est méfiant, tant il redoute d'être effrayé par le spectacle qui va se dérouler devant lui sur un écran géant. Alors quand il assiste à l'accident de train spectaculaire mis en scène par Cecil B. DeMille dans "Sous le plus grand chapiteau du monde", il n'aura de cesse de le reconstituer afin d'exorciser ce motif de terreurs nocturnes, en le filmant à son tour sous tous les angles et en détournant la fonction initiale du train électrique que lui a apporté le Père Noël.

Il y a plus d'une raison d'être ému aux larmes devant "The Fabelmans", qui n'est pourtant pas plus un mélo qu'il n'est suspect de chantage à l'émotion. La première de ces raisons dépasse le film. En tirant un roman d'apprentissage de ses propres souvenirs d'enfance, en remontant à la source d'une vocation de cinéaste qu'il situe, dès la première scène, dans une salle de cinéma bondée des années 50, Spielberg fait résonner soixante-dix ans d'histoire du cinéma dans une salle vide : le film a fait aux États-Unis un four monumental, tel qu'il fut aussitôt redirigé vers les plateformes.

Steven Spielberg appartient à la génération des 'movie brats' ("les morveux du cjné"), appellation plus pittoresque et prétentieuse que le fourre-tout "Nouvel Hollywood" qui prévaut maintenant. Bien qu'il sût séduire quelques grandes figures de notre revue ( Robert Benayoun, par exemple), comparé à Coppola, Scorsese ou De Palma, Spielberg paraissait à la fois doué et sage.

La sortie de "The Fabelmans" (Steven Spielberg, 2022) s'inscrit dans le prolongement de deux productions récentes ("Licorice Pizza", de Paul Thomas Anderson, en 2021, et "Armageddon Time", de James Gray, en 2022) réunies par une démarche commune. À la différence de Quentin Tarantino qui avec "Once Upon a Time in... Hollywood" (2019) fantasmait une époque et un univers qu'il n'a pas directement connu, Anderson, Gray et Spielberg ont choisi de façonner la fiction à partir de souvenirs de leur propre enfance ou de celle de leurs proches.

Dans son film le plus intime, le réalisateur d'"E. T." révèle le secret qui a mené ses parents au divorce, raconte sa découverte du cinéma et l'antisémitisme auquel il fut confronté. Entretien.