Lire Mona Ozouf, c'est plonger dans plus de deux siècles d'histoire de France. Mais c'est aussi explorer les impasses du présent en revisitant, comme elle nous y aide et incite, les contradictions non résolues de l'exceptionnalisme français. En un moment où font rage les guerres culturelles, où s'affirment hautement petites et grandes différences, où font retour des mémoires diversement blessées et parfois antagoniques, la leçon de son oeuvre est plus précieuse que jamais : elle contribue à démêler l'écheveau de notre intrigue nationale... Entretien réalisé pour "Critique" le 12 février 2016.

Pour le dire en un mot, Mona Ozouf se dresse contre « la fiction du même », contre « l'illusion du même », la mise à mal de la diversité des comportements, des croyances, des mémoires écrasées par le dogme de l'universalisme. Son oeuvre toute entière consiste en une protestation contre l'uniformisation des consciences à l'oeuvre dans la France moderne, la réduction à l'Un, l'utopie d'une cité idéale bâtie autour d'une Raison indifférente aux mémoires et aux fidélités.

Un rapport officiel mettant en cause la responsabilité de la France dans le génocide de 1994 a été rendu public au Rwanda en août 2008. Sans entrer dans les discussions des différents rapports français ou internationaux apportant leur analyse des événements, comment un historien de la guerre contemporaine peut-il lire un tel document ? La violence des affrontements contemporains et la brutalité de ces événements extrêmes ne font pas encore l'objet d'un travail à la mesure du défi intellectuel et moral qu'elles représentent.

Alors que la décision de béatifier Pie XII a été lue comme une provocation dans le dossier du silence du Vatican devant la Shoah, elle traduit aussi une certaine désorientation à la tête de l'institution. Pourquoi tous les papes du XIXe et du XXe siècle sont-ils considérés comme canonisables alors que l'Eglise se montrait plus prudente en l'excluant pratiquement dans les périodes antérieures ? Que signifie cette autoproclamation de sainteté par l'institution papale ?

Difficile de ne pas se réjouir quand des millions de téléspectateurs suivent près dix heures d'émissions sur la seconde guerre mondiale. Pourtant, avec la série documentaire Apocalypse, leur esprit critique fut peu... mobilisé. Car le fil rouge des programmes - le combat contre tous les totalitarismes - frappe par son caractère consensuel.

Il n'est pas inutile lorsque l'on pratique ou l'on s'intéresse à la prospective de bien comprendre le passé et plus généralement d'avoir une bonne vision de l'évolution des sociétés sur une longue période. Mais décrypter le processus historique n'est pas chose aisée et il peut paraitre difficile d'ajouter quoi que ce soit à ce qu'ont déjà écrit Hegel, Marx et bien d'autres sur l'histoire universelle. C'est pourtant ce qu'a tenté un orientaliste russe, Igor Diakonoft dans un ouvrage paru en Russie en 1994 et traduit cinq ans plus tard en anglais sous le titre ″The Paths of History″.

Comment l'Europe a-t-elle imposé le récit de son passé au reste du monde ? Le grand anthropologue conteste l'écart historique qui séparerait l'Occident et l'Orient.