Le clivage gauche-droite est régulièrement annoncé comme mort ou dépassé. Il ne fait que se recomposer sous des apparences fluctuantes, mais suivant des lignes de force invariables. Tel un phénix, la logique bipolaire renaît chaque fois que nous croyons en être débarrassés. La thèse défendue ici est que ces fractures apparemment nouvelles épousent, en réalité, des lignes de séparation historiquement bien établies.

Il n'est pas facile aujourd'hui d'être de gauche. Ou, plus exactement, il est assez aisé d'avoir une sensibilité de gauche, mais il n'est pas facile de penser à gauche. De penser que le combat contre la domination du capital sous toutes ses formes n'est pas obsolète, en dépit de son absence du lexique médiatique et de la transformation des exploités en "défavorisés". De penser que la question de l'égalité sociale demeure primordiale, en dépit de sa dissolution en question d'égalité d'accès aux chances de réussite.

La gauche se divise souvent aujourd'hui sur la définition des inégalités, et sur la politique à mener pour les réduire. Doit-on considérer qu'elles sont avant tout sociales, ou penser qu'elles sont avant tout culturelles ? Le choix du projet politique découlera largement de la réponse.

La mondialisation est une nouvelle forme symbolique, qui remplace le jugement par le calcul et le droit par le fait. Elle affaiblit ainsi la posture critique des sujets qui sont poussés à devenir exploiteurs d'eux-mêmes, ainsi que les Etats qui sont invités à renoncer à leur souveraineté.

La crise actuelle de la gauche permet d'interroger la place dévolue à l'Etat dans l'histoire de notre modernité politique. Alors que cette histoire a consacré l'Etat-nation, la dérégulation et la globalisation devraient pousser la gauche à s'en détourner au profit des dynamiques associatives de la société civile.

La gauche est en crise parce qu'elle a perdu sa foi dans le progrès, réformiste ou révolutionnaire. L'économie mondialisée s'impose à nous comme un avenir déjà réalisé et auquel il faudrait s'adapter. A cela, on peut opposer la force de l'ironie et le désir de rajuster le temps de la vie et le temps du monde.

La gauche est dépassée par la question de l'identité. La généalogie du concept, de la psychologie des déracinés jusqu'à sa récupération par l'extrême droite, permet de comprendre son succès actuel. Face à l'identitaire, la gauche doit promouvoir la culture, l'égalité et la démocratie.

Pour les socialistes, une fois au pouvoir, Clemenceau se serait transformé en cruel réactionnaire. Les préoccupations sociales furent pourtant au centre de son action et de sa pensée.