Walt Whitman (1819-1892) est avec Emily Dickinson l'un des deux grands piliers de la poésie américaine du XIXe siècle. « Qu'il exerce ou non une influence déterminante sur la littérature de l'avenir n'empêchera pas qu'il soit l'un des plus symptomatiques témoignages du présent », déclarait en son temps Robert-Louis Stevenson. Poète de l'en-avant, Whitman le démocrate est indissociable de la rupture opérée par la jeune Amérique avec la monarchie anglaise. Son poème est une Déclaration d'Indépendance. Pour les Etats-Unis mais aussi pour la poésie en général.

L'efflorescence poétique haïtienne mérite donc mieux qu'une reprise du vieux débat de l'art ouvert contre l'art fermé, d'une prétendue sève populaire contre le trobar clus. Rappelons plutôt que la poésie n'est rien d'autre que le soin mis à transformer une expérience, quelle qu'elle soit, en un chant, alors que, comme le déclare splendidement James Noël, "un seul mot peut gâcher en profondeur le bruit des vagues".

"O glace, glace universelle, prison / Tout ce gel étoilé au-dessus de nous" : daté de janvier 1973, le bref poème sans titre traduit par Henri Abril révèle un monde russe entièrement cloisonné de gel, une sorte de cage blanche, "comme si l'Hiver, l'antique Hiver / S'était habillé de prunelles claires, / Et il nous scrute du fond de la Neva".

Observateur et analyste de ce qu'a de plus morne et de plus désespérant un temps qui ne fait pas époque, intellectuel reconnu au point que, vu de France, il semble que l'on connaisse bien davantage l'essayiste que le poète, Hans Magnus Enzensberger dans les 99 poèmes qu'il a assemblés entre la seconde moitié de la décennie quatre-vingt-dix et le tout début des années 2000, et qui sont enfin accessibles en français, ne se détourne pas dans une poésie qu'il situe au coeur de son activité créatrice d'une société et d'une histoire dont il sait déceler les folies et les injustices.

La vente des archives de Gabriel Bounoure (1886-1969) remet au jour ce critique attentif, intimement lié aux plus grands poètes de son temps, de René Char à Max Jacob.