Murakami, après le triple triomphe de "1Q84", semble avoir délaissé, au moins provisoirement, les recettes faciles du feuilleton. L'histoire douce-amère de Tsukuru, anti-héros sans couleur, renoue en tout cas avec ce qui à mes yeux constitue l'enjeu même d'une recherche littéraire commencée il y a exactement quarante ans ("Ecoute le bruit du vent", 1974) : l'examen en profondeur de la japonitude.

L'amitié, l'importance de l'amitié et de son bon usage sert à ce livre - construit à partir d'une mosaïque d'impressions de voyage et de fragments documentés - bien plus que de fil conducteur, c'est sa véritable raison d'être. Il s'ouvre en effet sur un paradoxal entretien post mortem avec Claude Lefort, et s'achève sur une scène émouvante où l'auteur évoque sobrement la fin du philosophe qui, dans les années étouffantes de notre jeunesse commune (1950-1970), où le pseudo-marxisme stalinien abrutissait l'intelligentsia française, ouvrit pour quelques-uns un sas vers la liberté de penser.

En dehors d'un club secret de fondus de poésie médiévale (auquel je confesse appartenir), qui donc relit chaque année dans sa langue d'origine Villon et s'en remémore avec jouissance des pans entiers car le poète reste indispensable à son équilibre mental, au même titre que Chrétien de Troyes et Marie de France qui ont précédé l'auteur du "Testament" de près de trois siècles, et Charles d'Orléans, qui fut son contemporain ?

Dernier mouvement littéraire français qui ait compté internationalement après le surréalisme, dont il est d'ailleurs en partie issu, le Nouveau Roman porta très haut le culte baudelairien de la beauté formelle. En cela il se situait dans la droite ligne de quelques-uns des grands moments de l'histoire de notre littérature : la Pléiade, l'art pour l'art, le symbolisme, autant de paroxysmes esthétiques qui, selon la formule de Barthes, attachent un prix plus élevé au "quelque chose à faire" qu'au "quelque chose à dire".

Quatre écrivains se sont associés pour une forme d'hommage à Eric Chevillard, intéressante en ce qu'elle tente de fournir des clés de lecture pour une oeuvre considérable et trop peu lue. Difficile ? En tout cas pas au sens habituel du terme, l'écriture apparemment fantaisiste et très volontairement digressive de l'auteur offrant nombre de voies d'accès attrayantes, par exemple une invention constante de personnages et de situations aptes, par leur caractère saugrenu, à provoquer le rire.

Quand un artiste a des talents aussi divers que ceux d'Alain Fleischer, et qu'il les exerce tous avec un don d'ubiquité aussi peu commun, on peut se demander qui il est réellement. Photographe, cinéaste (à la fois de fictions et de documentaires), scénographe (expositions, musées), plasticien, enseignant (il dirige l'école du Fresnoy, "studio national des arts contemporains") ?

Souvent les écrivains japonais, qu'ils soient ou non illustres, sont des travailleurs acharnés. Publier ou mourir, telle est leur règle. Depuis son Nobel de 1994, Đé Kenzaburo a produit neuf romans, avant de se lancer dans un cycle de feuilletons - genre toujours florissant au Japon. Après vingt ans sans traduction française, paraît l'un de ces habiles mélanges entre fiction et journal intime, où l'auteur ne cesse de batailler sur le front antinucléaire. Avec l'atome pour bête noire et Fukushima qui, on s'en doute, l'a conforté dans ses convictions sur ce terrain politique essentiel.

Quand on a eu la chance de découvrir, à partir de 2010, et dans la traduction exemplaire d'Eric Boury, une trilogie ("Entre ciel et terre" ; "La Tristesse des anges" ; "Le Coeur de l'homme") qui d'emblée hissait un écrivain très au-dessus de la production littéraire contemporaine, toutes cultures et langues confondues, on n'ouvre pas sans appréhension un nouveau roman du même auteur. Et si le philtre avait perdu de son efficace, même un peu ?

Déblayons d'abord. Ce tome I - bizarrement le II n'est prévu que pour 2007, centième anniversaire de la mort de l'écrivain : n'aurait-il pas mieux valu publier à cette dernière date les deux volumes ensemble ? - a le cul entre deux chaises.

Il y a comme une pulsion pédagogique chez Alain Robbe-Grillet, qui contraste avec l'effort accompli par beaucoup d'autres artistes, qui furent ses contemporains ou le sont aujourd'hui encore, pour dissimuler au maximum les raisons et les modes de leur activité créatrice.

A Lisbonne, dans la ville basse, au coin du Largo de Sao Domingos et de la Rua das Portas de Santo Antao, un musicien ambulant s'est assis, puis lentement égrène sur la guitare des notes mélancoliques gonflées par l'amplificateur électrique coincé entre ses genoux.

Cyrano qui n'était point de Bergerac en Gascogne mais tirait son nom d'un petit fief de la vallée de Chevreuse que ses ascendants avaient habilement accolé à leur patronyme bourgeois de lointaine origine sarde, Cyrano le Parisien mais l'authentique bretteur que ce bon Rostand - après d'autres - affubla d'un nez de théâtre et d'une légende d'amoureux transi, redevient furieusement à la mode, porté par la vague qui réhabilite le baroque et décoiffe ce mouvement complexe de l'éteignoir posé par la police "classique" de la monarchie absolue sur la tête de tous les dissidents.

Tous les amateurs de science-fiction le savent, Philip K. Dick, qui mourut à cinquante-trois ans, en 1982, d'une overdose de tout, était fou.

On connaissait depuis longtemps l'histoire. Le 5 décembre 1914, la demande d'engagement d'Apollinaire, formulée dès le 10 août, est acceptée. Il part faire ses classes à Nîmes.

C'est en ces termes définitifs qu'Henri Michaux, rendant compte dans "Les Cahiers du Sud" en 1934, du recueil "Absence" de son ami Alfredo Gangotena, poète équatorien, déplore l'impossibilité, pour un écrivain, de témoigner d'une expérience des limites au plus près, au plus honnête, de cette expérience.

En 1929 - il a alors cinquante et un ans - Robert Walser, fortement incité à se faire interner par sa soeur, qui l'accompagne, franchit en hésitant la porte de l'asile psychiatrique de Waldau, près de Berne, où l'un de ses frères, Ernst est mort interné en 1916 (un autre aîné, Hermann, professeur d'Université, s'est suicidé en 1919).

A quoi servent les biographies ? En principe à permettre au lecteur de mieux connaître un personnage, le plus souvent public, auquel il s'intéresse.

Que feraient donc les braves besogneux critiques, exégètes et autres détrousseurs de cadavres sans la fièvre commémorative qui justifie seule aujourd'hui que l'on publie tout (et parfois n'importe quoi) sur ou autour d'un grand nom ?

Le 21 août 1887, deux mois et demi après la mort d'un père admiré avec lequel il s'entendait fort mal, Stevenson quitte la Grande-Bretagne pour les Etats-Unis avec toute sa famille, mère comprise. Il sera accueilli triomphalement à New York, où "Dr Jekyll et M. Hyde", paru l'année précédente, a définitivement établi sa stature d'écrivain.

Depuis sa thèse de doctorat ("Les Corps de Jean-Jacques Rousseau", Champion, 1997), assez audacieuse en ce qu'elle mettait l'accent sur l'homosexualité du cher Jean-Jacques sans circonlocutions académiques, Paule Adamy consacre son activité érudite à deux fins de siècles.

Un film très convaincant mais accueilli dans une relative indifférence, "Passage des hommes libres" (Luis-Armando Roche et Jacques Espagne, 1997) avait su retracer avec vraissemblance, en 1997, la peu ordinaire Odyssée sud-américaine du savant allemand Alexander Von Humboldt.

Arturo Perez-Reverte, qui a cinquante-six ans, en a consacré vingt et un à "couvrir", comme on le dit joliment en jargon de presse, divers conflits de la seconde moitié du XXe siècle, en tant que correspondant de guerre.

Pour tous les admirateurs de Lucette Finas, et singulièrement pour ceux de "Précaire" et de "Parlez-moi de vous !", les derniers romans parus, qui témoignaient tous deux d'une liberté affirmée dans le déploiement de l'imaginaire, "La Dent du renard" apparaîtra comme un provisoire couronnement.

Les gens très intelligents sont bien agréables, d'abord parce qu'ils nous vengent du crétinisme ambiant, dans lequel l'examen critique des textes nous immerge souvent.

En 1963, lors d'un second séjour à Cuba (il est alors très proche de Fidel Castro et de la révolution, victorieuse depuis le 2 janvier 1959), Julio Cortazar, alors âgé de 49 ans et fixé à Paris depuis novembre 1951, prononce une conférence à la Casa des las Américas, sur le conte ou plutôt le cuento, dont il ne voit pas d'équivalent français.

Si la haine, pense l'optimiste, n'a jamais bâti rien de durable, il faut bien avouer que sa puissance destructrice constitue un explosif plus brisant que la poudre, même noire.

De Shôhei Đoka (1909-1998), la guerre du Pacifique a marqué à jamais la vie, suscitant sa vocation tardive d'écrivain, structurant une oeuvre qui a commencé, dès le rapatriement à la fin de 1945, par des chroniques dans les journaux sur son expérience de soldat.

Un écrivain sulfureux, et de surcroît difficle, hermétique parfois, étranger toujours à l'univers de la "communication" banale où nous baignons tous plus ou moins, décide néanmoins de surprendre par une manière de récit en forme d'autobiographie certes trouée mais néanmoins reconnaissable pour telle et par là même inattendue.

Un gros livre de facture classique se morfondait dans les tiroirs de Philip K. Dick, mort en 1982, sans contexte l'un des grands de la SF américaine.