Elevée dans une Bretagne encore irrédentiste, philosophe de formation, elle est devenue presque par inadvertance une référence sur la Révolution française. Sa surprenante humilité fut sans doute une arme : dénuée d'ambitions académiques, elle s'est entièrement vouée à ses livres.

Les textes importants de l'historienne réunis en un seul volume sont l'occasion de relire un corpus qui, de la Révolution aux Républiques, compose avec l'idée du particulier et de l'identité.

Le questionnement de Mona Ozouf sur la part non choisie de l'existence a ceci de dynamique qu'elle reste toujours politique quand bien même elle ne traite que des héritages, père, mère et société : une famille bretonne en ses nuances multiples, l'école comme habitus et tous les autres ingrédients d'une France IIIe République. La force du livre tient en outre au sens de la durée de l'auteur qui lui permet de scruter les voies de la liberté au filtre des héritages et du labyrinthe des attachements

Analyser le prestige des fêtes nationales : l'exercice paraissait propice au développement d'une « nouvelle histoire ». Mais avec Mona Ozouf, d'autres sources d'inspiration sont mobilisées. La fête devient une petite assemblée. Elle appelle surtout des savoirs que la « nouvelle histoire » rêvait d'investir : sur l'éducation et le rire, les arts et la ville, la religion et le village. Savant pied de nez à une science trop docte, la Fête révolutionnaire va donc s'en prendre aux vaines apparences - celles de l'historiographie et celles d'une certaine mythologie politique.

Son ouvrage "Composition française", dans lequel elle retrace son enfance et sa jeunesse en Bretagne, offre une perspective fascinante sur les trois milieux qui façonnèrent sa vision initiale du monde : la religion catholique, l'école républicaine et la culture bretonne. Mais il s'agit de bien plus que d'une simple reconstruction d'une trajectoire personnelle. A travers ses souvenirs de ces diverses expériences, Mona Ozouf ouvre une fenêtre sur l'évolution de la culture politique française, et en particulier sur les fondements et le devenir de la tradition républicaine.

Au moment où s'ouvre en France un nouvel épisode des « guerres scolaires » qui caractérisent l'histoire éducative française, Mona Ozouf entend donc marteler une argumentation à laquelle elle ne renoncera jamais : l'école en France (plus encore "L'Ecole de la France", comme elle intitule un recueil de ses textes publié en 1984) ne saurait se réduire à sa fonction économique.

Son origine, profondément ancrée dans la Basse-Bretagne, la prédisposait à l'étude de la diversité, de l'éparpillement territorial, des fidélités locales. Peu d'historiens ont été à ce point aptes à saisir ce qui relevait de ce que Mona Ozouf qualifie de « vie rebelle de l'esprit des lieux ». Sa connaissance, durant l'enfance, d'une langue régionale menacée, son expérience de la particularité de l'histoire bretonne l'amenaient naturellement à comprendre le régional.

La Révolution française et l'écriture des femmes ont, l'une et l'autre, modelé en profondeur la réflexion de Mona Ozouf sur le républicanisme. Non pas cependant au même moment, ni de la même manière.

Lire Mona Ozouf, c'est plonger dans plus de deux siècles d'histoire de France. Mais c'est aussi explorer les impasses du présent en revisitant, comme elle nous y aide et incite, les contradictions non résolues de l'exceptionnalisme français. En un moment où font rage les guerres culturelles, où s'affirment hautement petites et grandes différences, où font retour des mémoires diversement blessées et parfois antagoniques, la leçon de son oeuvre est plus précieuse que jamais : elle contribue à démêler l'écheveau de notre intrigue nationale... Entretien réalisé pour "Critique" le 12 février 2016.

Cet arrière-plan dévoilé n'ouvre pas de perspectives radicalement nouvelles. Il s'agit bien toujours de la même histoire parce que Mona Ozouf est née dans une école. Son livre traite précisément de ce point aveugle et aveuglant, c'est-à-dire du fait que ses travaux d'historienne et son histoire personnelle se rejoignent en permanence.

Pour le dire en un mot, Mona Ozouf se dresse contre « la fiction du même », contre « l'illusion du même », la mise à mal de la diversité des comportements, des croyances, des mémoires écrasées par le dogme de l'universalisme. Son oeuvre toute entière consiste en une protestation contre l'uniformisation des consciences à l'oeuvre dans la France moderne, la réduction à l'Un, l'utopie d'une cité idéale bâtie autour d'une Raison indifférente aux mémoires et aux fidélités.

Si Mona Ozouf aime les Girondins - affection raisonnée et nullement romantique - c'est pour leur passion du droit, leur rationalisme ; c'est pour leur double refus d'un centralisme autoritaire et d'une idéologie de la régénération radicale.