Ne nous leurrons pas sur notre intérêt pour notre prochain : dans un film venu d'une société différente de la nôtre, nous entrons en nous demandant si cette différence nous intéressera. Cet a priori, non-égyptien en l'occurrence, ne nous reste pas longtemps à l'esprit tandis que se met en place l'intrigue de "La Conspiration du Caire". Adam, fils de pêcheur, reçoit le prestigieux diplôme qui l'intègre à la plus grande université théologique du monde arabe, Al-Azhar. Son veuf de père accepte qu'il quitte l'humble village pour la capitale.

Après avoir réalisé plusieurs documentaires nés de rencontres avec leurs protagonistes ("La Mort de Danton", "Vers la tendresse"...) et qui lui ont permis d'évoquer sa propre histoire ("Nous") et de filmer les paysages de la banlieue nord où elle a grandi, Alice Diop, pour sa première oeuvre de fiction, revient sur un fait divers effroyable, le procès d'une mère infanticide.

Présenté à la Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes 2022, puis diffusé sur Arte en septembre avant de sortir enfin en salle, "Les Années Super 8" aura été découvert avant qu'Annie Emaux reçoive le prix Nobel de littérature. Que l'on soit admirateur ou non de l'écrivaine, il ne faudrait pas que l'obtention de la récompense suprême n'entache ou ne sublime plus que de raison la vision de ce film rigoureux et secret, conçu comme "un fragment d'autobiographie familiale".

En 1955, Douglas Sirk filme une ardente histoire d'amour entre Carey Scott, une "veuve d'âge mûr" (Jane Wyman, alors âgée de 38 ans), et Ron Kirby, un séduisant pépiniériste (Rock Hudson, de dix ans son cadet). Nous sommes dans "Tout ce que le ciel permet" ("All That Heaven Allows"). Alors que la veuve aurait pu trouver refuge dans les bras d'un homme respectable et se contenter d'une histoire d'amour platonique, elle choisit un homme jeune et musclé.

Régulièrement, le cinéma hollywoodien s'inquiète des dangers qui pèsent sur la démocratie états-unienne. "Amsterdam", par le biais d'une comédie politique, perpétue cette préoccupation face à la recrudescence, depuis six ans, d'une idéologie postfasciste au sein du peuple et des institutions les plus importantes. La dernière réalisation de David O. Russell ne s'apparente pourtant ni à un réquisitoire anti-Trump ni à un film de propagande prodémocrate.

Au dernier plan de "La Grande Bouffe" hurlent des chiens. C'est une étymologique profession de foi cynique que livre Marco Ferreri au terme de son film le plus célèbre. Pour le Diogène du cinéma, l'homme erre tel un chien (kunos, en grec) dans un monde sans idéal, avec pour seul but la satisfaction malaisée de ses désirs et pour seul avenir la dissolution dans le rien. Son oeuvre ne capte que des lambeaux de désamour et de vide sur un torchon tendu aux quatre coins qu'on nomme l'écran. Alors oui, Ferreri provoque et exagère, dérange et rebute.

Face au désastre écologique en cours, le cinéma aurait du mal à prétendre apporter le moindre recours pratique. Certaines fictions cherchent une forme qui enregistre le temps complexe de cette angoissante entropie.

Dans son exploration du champ du fantastique et de la science-fiction, le cinéma a renouvelé les rapports de croyance dans la fiction en poursuivant avec frénésie sa quête de construction de nouveaux mondes. Il a prouvé sa capacité à imaginer, faire, parfaire et refaire des espaces-temps à la prolifération labyrinthique.

Si la nudité fait partie du vocabulaire courant de la sculpture et de la peinture, sa figuration au cinéma ne va pas sans poser un certain nombre de problèmes. Les prétextes mythologiques ou allégoriques qui justifiaient l'absence de vêtement ne sont plus opérants dans le cas du 7e art, pour lequel le nu n'a rien de naturel. Dès les années 1930, il s'est heurté à un tir de barrage pudibond, avec l'adoption du code Hays aux États-Unis. Pendant trois décennies, filmer le nu a obligé à louvoyer, entre contorsions scénaristiques et paravents opportuns, y compris dans le cinéma d'animation.

"Anatomie d'une chute", s'ouvre par une séquence d'interview catastrophique. Il est donc troublant de s'installer face à Justine Triet, à Paris, quelques jours après son retour du Festival de Cannes. Réalisatrice de "La Bataille de Solférino" (2013), "Victoria" (2016) et "Sybille" (2019), nous la rencontrons pour la première fois. Et c'est ici, dans cet appartement, que le scénario de son quatrième long métrage a germé. Dans le salon, s'attardent des valises pas encore défaites et une maison de poupée qui pourrait bien être un petit chalet, une volée de marches monte vers l'étage.

Amitié. Le mot est mis en exergue dans la citation de William Blake qui ouvre le magnifique "First Cow", dernier film de Kelly Reichardt. Et l'émotion d'avoir été les témoins d'une profonde histoire d'amitié se poursuit longtemps après la fin bouleversante du film. Le sentiment amical, qu'il soit du côté de l'amour ou de l'empathie, y compris envers les animaux ou la nature, est le fil conducteur de toute son oeuvre. Mieux encore : le chemin le plus court, simple, direct et sans emphase pour atteindre une forme d'absolu.